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— Cinq jours, c’est bien long quand on souffre ! Savez-vous que je suis ici comme dans une prison !

— Cette cabine, une prison ! s’écria le capitaine ; mais qu’y manque-t-il donc ?… J’ai mis dix ans à la décorer des plus curieux objets que j’aie pu rassembler dans les cinq parties du monde. Voulez-vous que je vous dise toute ma pensée, senhora ? J’avais envie de vous emmener à travers le Pacifique, de vous garder à bord pendant toute une campagne qui n’eût pas duré moins de deux années. Rien ne m’aurait manqué durant cette longue navigation : la mer, l’immense étendue, l’horizon sans bornes autour de moi, et quand vous l’auriez permis, quelques instans passés près de vous !… Mais la mer vous est odieuse…

— Monsieur, répliqua dona Isabela, vous m’avez promis de me conduire près de mon père…

— Et je tiendrai ma promesse, senhora, mais vous, vous ne rejetterez pas la prière que je vous adresse, n’est-ce pas ? Je vous demande quelques jours encore si vous pouvez contempler de dessus le pont la mer qui écume à perte de vue et devant nous les puissantes baleines qui folâtrent comme un de ces troupeaux de monstres marins qu’on voit dans les tableaux mythologiques !… Ce sont là des spectacles enivrans ; tout est beau d’un bout à l’autre du globe pour qui sait voir et comprendre. Puis, quand on a lutté, combattu, souffert sous ces latitudes terribles, on va prendre terre sous les tropiques, dans quelqu’une de ces îles enchantées où la vie est si douce, si facile, qu’on n’a rien à faire qu’à rêver à l’ombre des palmiers…

— C’est cette terre-là que je vous prie de me rendre, dit la Brésilienne avec animation ; c’est la mienne, la seule où je puisse vivre…

— Je vous la rendrai, vous dis-je ; mais quand vous aurez quitté mon navire, est-ce que je pourrai jamais revenir habiter cette cabine ? Oh ! non, elle restera close pour toujours ; j’en ferai clouer la porte afin d’y renfermer votre souvenir… Comprenez-vous bien, senhora, ce qui se passe en moi dans ce moment ? Non, j’en suis sûr. Permettez que je vous le dise. Au milieu des périls de l’Océan, du bruit de la mer agitée, dans ces régions maudites, vous conservez au fond de votre cœur l’image vivante de quelque merveilleuse vallée où s’est écoulée votre enfance, où vous voudriez à tout prix être transportée par la baguette d’une fée. Eh bien ! ce qui vous tourmente, ce que vous voudriez avoir, ce qui vous fait pleurer de regret, ce que vous n’avez que par l’imagination, moi je l’ai dans la réalité. Au milieu de ces froides solitudes où règne la tempête, dans ces parages hantés par les plus fantastiques animaux de la