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de pêche, et je reviens sur mes pas triomphant, doublement triomphant d’avoir arraché du fond des eaux tant d’énormes baleines et…

— Et une pauvre jeune fille sans appui, dont la vie dépend de vous, ajouta dona Isabela en essayant de sourire.

— Non, non, senhora ! dites plutôt une noble créature que le destin a envoyée à mon bord pour me consoler, par un rapide séjour auprès de moi, des ennuis de ma rude existence… Quand vous serez près de votre père, senhora, vous ne songerez qu’avec horreur aux jours que vous aurez passés ici. On vous unira à quelque fidalgo jeune, riche, bien fait, et vous oublierez près de lui, au sein d’une famille heureuse, la captivité forcée qui vous est imposée ici… Vous rejetterez loin de vous le souvenir de ces instans qui sont pour moi les plus précieux de toute ma vie !

À la pensée de revoir le pays natal, de sentir sous leurs pieds la terre ferme et le sol brûlant des tropiques, les deux femmes, la jeune maîtresse et la vieille esclave, ne purent retenir leurs larmes ; elles en étaient si éloignées encore !

— Je voulais réjouir votre pauvre cœur attristé, reprit le capitaine Robinson, et voilà que je vous fais pleurer. Peut-être en ai-je trop dit. Ah ! vous ne savez pas combien de jours, de semaines, de mois, nous restons sans rien dire, nous autres marins, sans donner un libre cours aux pensées qui nous agitent ! Toujours lutter contre les élémens, dompter la volonté chez ceux qui doivent nous obéir, nous endurcir nous-mêmes contre toutes les émotions, voilà notre vie de chaque jour ! Et pourtant nous y trouvons un charme irrésistible… jusqu’à ce qu’il nous arrive d’entrevoir une existence plus calme, qui aurait pu être la nôtre ! Il y a bien de la faiblesse, allez, au fond du cœur en apparence le plus fermé aux tendres aspirations ! La source des larmes se cache, elle aussi, sous le marbre et le granit. — Puis, s’arrêtant tout à coup comme si la voix lui eût manqué, le capitaine Robinson fit une longue pause. — Voyons, reprit-il d’un accent moins animé, je parle là comme une vieille femme… Résumons-nous ; je voulais vous dire tout simplement ceci, senhora : ayez courage, prenez patience ! Avant peu, je ferai route pour votre pays, et je vous remettrai moi-même saine et sauve entre les bras de votre père…

— Dieu vous entende, répondit la jeune fille, et qu’il vous bénisse !

— Pardon, reprit le capitaine en revenant sur la porte de la cabine qu’il venait de quitter ; on va faire encore bouillir durant toute la nuit ces chaudières à l’odeur fétide qui servent à fondre la graisse des baleines. Ouvrez, s’il vous plaît, le coffret qui est là près de vous :