Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloignées, et dont nous parlons en France sans beaucoup les connaître. Ces mouvemens intérieurs se sont ralentis et même calmés tout à fait dans le cours du dernier siècle. À l’exception de Wesley et de Wakefield suscitant le méthodisme en Angleterre, de Spenher provoquant le piétisme en Allemagne, on ne peut guère citer, pendant une assez longue période de nouveautés chrétiennes dans ces deux grandes sociétés protestantes ; encore le méthodisme et le piétisme ont-ils un caractère plus religieux que dogmatique, et s’adressent-ils bien plus aux sentimens qu’aux idées. L’impulsion du XVIIIe siècle poussait les esprits en dehors du christianisme, et nullement à un travail intérieur au sein du christianisme. Le rationalisme se tournait contre l’Écriture, au lieu de s’appliquer à l’Écriture. Si, dans la positive Angleterre, l’indifférence n’arrivait pas à l’incrédulité déclarée, elle se reposait sous la protection et dans la torpeur de la religion officielle, tandis que l’Allemagne, de Lessing à Kant et, je pourrais dire, à Goethe, a marché, enseignes déployées, dans le champ de la liberté de penser. Mais à côté de cette direction purement philosophique, une autre direction s’est prononcée, dont on pourrait chercher l’origine dans l’influence de Schleiermacher. Sans qu’il soit possible de lui décerner des lettres d’orthodoxie, le platonicien, le panthéiste, le mystique a fini par ramener les esprits dans une carrière de méditation évangélique où la rivalité de l’école historique contre l’école métaphysique leur a fait faire encore de nouveaux pas. La religion a pris, aux yeux même des fidèles, le rang et le caractère d’une science, mais d’une science dans laquelle l’érudition et la critique ont à jouer un grand rôle, puisqu’elle a pour objet des livres et une histoire. Nous avons vu s’opérer parmi nous une révolution qui offre quelque analogie avec celle-là dans la manière de considérer la philosophie. Quant à l’Angleterre, quoiqu’on ne doive pas attendre d’elle cette fécondité de renouvellemens intellectuels qui signale la pensive Allemagne, on peut dire que depuis Coleridge il s’y est manifesté, au sein des sectes ou des écoles épiscopales et dissidentes, un certain réveil de la critique qui a suivi de près le réveil de la foi, et qui, après d’autres productions remarquables, a enfin mis au jour ces Essays and Reviews qui, depuis plus d’un an, sont l’entretien du public religieux.

Ce serait un tableau très curieux et très instructif que celui des travaux de la critique chrétienne dans le sein du protestantisme germanique ; mais la science nous manque pour en tenter même une esquisse, et il est temps de revenir aux écrivains français qui semblent destinés à propager dans notre pays cet esprit d’investigation biblique qui nous donnera nos Neander et nos Bunsen. Ceux dont j’ai cité les noms au commencement de cette étude conviendraient