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est le rocher, l’église est la source, et c’est elle qui désaltère l’humanité haletante dans sa longue marche à travers le désert du monde.

L’église n’aime pas à se défendre toujours en invoquant des miracles. Souvent elle a réduit le don d’inspiration qu’elle aurait reçu à un fait qui pourrait même être arrivé naturellement. Ce fait serait qu’elle a été fidèle, sans déviation, sans interruption, à la tradition primitive. Pour attester la vérité chrétienne, elle n’a pas eu besoin d’une révélation surnaturelle ; il suffit que, par une grâce divine, elle ait conservé la mémoire. Quand elle prononce en juge de la foi, elle ne découvre rien de neuf ; elle ne résout qu’une question de fait ; elle atteste ce qu’on a cru toujours et partout, quod semper et ubique. Ceci suppose d’abord que la tradition n’a jamais été interrompue, et que non-seulement le christianisme n’a jamais varié, mais que dès le premier jour il a été tout entier, et que l’église n’a jamais eu rien à apprendre. Aussi Bossuet n’hésite-t-il point à dire que Dieu ne révèle pas de nouvelles vérités qui appartiennent à la foi catholique. « Nous donnerons, ajoute-t-il, pour règle infaillible reconnue par les catholiques des vérités de foi le consentement unanime et perpétuel de toute l’église, soit assemblée en concile, soit dispersée par toute la terre et toujours enseignée par le même saint esprit. » Cette règle, qui pratiquement paraît la plus sûre, a cet inconvénient qu’elle ne donne aucun moyen de résoudre les questions qui divisent l’église, puisque la solution en devrait être cherchée dans le consentement unanime et perpétuel. Par exemple, Bellarmin avoue que la supériorité du pape sur le concile continuait encore de son temps à faire question dans l’église catholique. La question ne pourra donc jamais être décidée, car jamais l’église ne pourra déclarer qu’elle a toujours été d’accord sur ce qui l’a divisée jusqu’à la veille du jour où elle affirmerait le contraire. Ainsi la règle de l’unanimité perpétuelle n’aurait pas permis de statuer sur l’immaculée conception. Il faut donc inventer une autre règle. Cela prouve qu’on ne saurait penser à tout. Quand le pape Jean XXII, dans une bulle solennelle, déclarait que saint Thomas avait fait autant de miracles qu’il avait écrit d’articles, il oubliait qu’au nombre de ces miracles était l’article où l’immaculée conception était contestée.

L’inspiration qui fonde l’infaillibilité de l’église doit donc s’élever à quelque chose de plus que de la guider dans la constatation du fait de l’ancienneté d’une créance déterminée ; elle ne crée pas des vérités, mais il faut qu’elle en découvre. L’exemple mémorable donné récemment de la promulgation d’un dogme vient en aide à une théorie qui a été soutenue de nos jours, par deux des plus habiles docteurs de l’église, Moehler et le père Newman, la théorie du développement appliquée au christianisme. En tout cas, il n’y a rien là qui diminue la hauteur et le prix du don merveilleux dont l’église