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même d’intelligence et de sincérité, et cela seul prouve que ces dogmes fondamentaux n’y sont pas exprimés avec la même clarté que l’est par exemple la distinction de l’esprit et du corps dans Descartes, ; ou dans Leibnitz la réduction de la substance à la force. Sans multiplier les exemples et citer des expressions qui pourraient être attribuées au tour individuel de l’esprit de l’écrivain, rien n’est plus important et plus correct que cette proposition : « il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. » Il faut cependant que le sens en soit bien équivoque, puisque Massillon en a tiré ce redoutable sermon sur le petit nombre des élus dans la terreur duquel était élevée, il y a cinquante ans, toute la jeunesse chrétienne, tandis que, plus heureux, nos jeunes contemporains ont entendu de plus consolantes assurances, grâce à l’éloquent successeur de Massillon que vient de perdre la chaire apostolique[1]. Et chose remarquable, ni l’évêque de Clermont ni le père Lacordaire n’ont été désavoués par l’église. Le point si important des chances de l’autre vie et des conditions du salut est une de ces questions ouvertes auxquelles s’applique la maxime : — in dubiis libertas.

La métaphore ou, pour parler d’une manière plus générale, le style figuré est partout dans l’Écriture, et même on nous enseigne que la Bible est une figure perpétuelle. À ne considérer que l’élocution, la figure est un des moyens d’effet dont usent le plus heureusement les grands écrivains ; et rien n’est plus propre à récréer l’esprit quand elle est ingénieuse, à saisir l’imagination quand elle est grande et belle. On ne pourrait cependant prétendre qu’elle soit l’expression la plus exacte de la vérité. Elle sert bien quelquefois à nous en donner une certaine idée quand il est impossible ou trop difficile de la donner plus juste par l’expression : directe ; mais ce n’est jamais qu’une approximation qu’il faut se garder de prendre à la rigueur. Tout le monde sait que, dans toutes les recherches qui ont pour objet la vérité, dans toutes les sciences, rien ne demande plus de précaution que l’emploi du style figuré, et que s’il est impossible de s’en abstenir absolument, il est prescrit de n’en user qu’avec défiance. Le langage figuré n’est permis et nécessaire que parce qu’il y a des cas où l’écrivain se sent hors d’état d’indiquer autrement sa pensée, ou bien parce que l’auditeur est plus accessible au langage de l’imagination qu’à celui de la raison, ou bien enfin parce qu’il est des choses qui ne se laissent pas représenter autrement ; mais aucun de

  1. « Bien que ce fameux texte : « il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » vous paraisse d’une évidente clarté, il est bien loin d’en être ainsi. C’est précisément le texte qui a le plus divisé les pères et les commentateurs… Le petit nombre des élus n’est pas un dogme de foi, mais une question librement débattue dans l’église. » (Le père Lacordaire, soixante et onzième conférence.)