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par une crise ministérielle. Si l’on avait pu craindre, même après l’affaire du Trent, que le gouvernement britannique ne se laissât entraîner à des mesures querelleuses et provocatrices envers les États-Unis, cette appréhension, qu’avaient autorisée à certains égards les violences et les injustices de la presse anglaise, n’a plus aujourd’hui de fondement. Les hommes d’état anglais se sont fait remarquer à l’ouverture de la session par la modération de leur langage envers les États-Unis. Sans doute la politique énergique suivie par le cabinet dans l’affaire du Trent a obtenu l’approbation unanime des deux chambres ; mais quelques paroles de prudence et de justice ont été prononcées à cette occasion. Lord Derby est convenu que la crise du Lancashire n’a pas pour unique cause la cessation des importations du coton. M. Disraeli s’est montré généreux envers les hommes qui, dans cette grande convulsion, dirigent le gouvernement américain et n’ont pas désespéré du rétablissement de l’union. Lord Palmerston s’est prononcé nettement en faveur d’une politique de neutralité dans les affaires d’Amérique. Le comte Russell a été plus explicite encore dans la définition de cette politique de neutralité. — Si la séparation doit avoir lieu, a-t-il dit, il ne faut pas que les États-Unis soient jamais fondés à croire que l’indépendance de la confédération du sud ait été l’œuvre d’une intervention et d’une influence étrangères. — Ainsi toutes les craintes qu’avaient pu concevoir, il y a quelque temps, les amis de la liberté et ceux qui ont conservé leurs sympathies à la cause de l’Union américaine sont maintenant dissipées : la confédération du sud ne sera pas reconnue ; une provocation gratuite ne sera pas adressée aux États-Unis.

Peut-être en Angleterre le sentiment public à l’égard des États-Unis n’est-il point encore revenu au ton de modération et de sagesse qu’indiquent les déclarations des organes du gouvernement et de l’opposition au sein du parlement. Nous croyons cependant que l’opinion anglaise se conformera bientôt aux directions que lui donnent ses meneurs naturels. Même au moment où le conflit semblait imminent, nous n’avons pas désespéré de voir des hommes éminens et accrédités s’appliquer à combattre et à vaincre les préjugés de l’opinion publique anglaise contre les États-Unis. Les observateurs impartiaux de la querelle qui s’engageait entre l’Angleterre et les états du nord ont été frappés d’un fait qui n’était point à l’avantage de l’opinion publique anglaise. Depuis l’origine de la lutte entre les états du nord et ceux du sud, la presse et l’opinion en Angleterre ont montré pour la cause du sud une partialité révoltante, et ont prodigué les attaques contre le gouvernement républicain, qui, se tenant sur la défensive et n’ayant donné aucun prétexte à la rébellion, s’est vu forcé de défendre contre les esclavagistes la constitution et l’intégrité des États-Unis. Une pareille injustice était trop criante, et nous nous attendions bien à la voir dénoncée au sein même de l’Angleterre par des voix autorisées. M. Bright avait, à la vérité, protesté de bonne heure contre cette iniquité ; mais M. Bright était un témoin suspect r ses anciennes apologies exagérées des institutions américaines