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leur avait permis une heure de récréation avec ces créatures, les diables saisissaient des paquets de verges de fer rougies à blanc dans la fournaise, et les fouettaient jusqu’à ce que les hurlemens que leur arrachaient leurs horribles souffrances eussent rempli le vaste séjour des ténèbres, et lorsque les diables pensaient que la flagellation avait duré assez long temps, ils prenaient des fers rouges, et ils cicatrisaient leurs blessures saignantes. »


Cette verve furieuse se soutient pendant quarante pages avec un sérieux imperturbable. Elis Wyn ne plaisante pas, et si parfois ses tableaux provoquent le rire, ce n’est point parce que l’auteur a cherché à être bouffon et y a réussi, c’est par la même raison qui rend comiques les emportemens d’un homme en colère aux yeux de celui qui garde son sang-froid. Le ministre gallois pouvait sans scrupule dérober le titre de son livre aux vieux poètes de son pays ; il est bien leur descendant légitime, et le vieux barde Taliesin a vraiment tort de lui chercher querelle lorsqu’il le rencontre dans les états de la Mort. L’air de famille s’est conservé à travers la distance de douze siècles. Le vieux génie celtique est resté reconnaissante, mais on peut dire qu’il n’est reconnaissable que pour le lecteur qui sait découvrir l’âme sous le corps et séparer la substance de la forme. En effet, ce dernier monument de la littérature galloise, celtique encore par certains traits qui révèlent l’origine et qui trahissent la force du sang, est tout anglais par les idées, les sentimens et les haines. Il marque bien l’assimilation morale définitive de l’esprit gallois à l’esprit anglais ; il enterre, selon le rite anglican de la haute église, cette vieille littérature bardique et chevaleresque qui s’était continuée presque sans interruption jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Une ou deux voix de poètes s’élèveront encore, mais c’en est fait pour jamais de la vieille originalité, galloise. Et cependant, si la nation a abdiqué, l’instinct de race résiste du fond des obscurités de la chair et du sang où il se cache. Le Gallois s’est fait Anglais, mais à son insu il est resté Gallois, car c’est avec la violence et la véhémence propres au génie de sa race qu’il exprime les idées et les passions anglaises.

Les érudits en matière de littérature celtique devront remercier M. Borrow d’avoir exhumé et mis au jour cet écrit trop ignoré. Cette traduction leur fera délirer vivement la publication des deux ouvrages que M. Borrow promet depuis si longtemps sur la littérature celtique : les Bardes, les Chefs et les Rois celtes, et les Landes galloises, livres que personne mieux que lui n’est à même de faire. Quant à nous, qui ne pouvons lui adresser que les félicitations du dilettante et de l’amateur, nous le remercions de nous avoir fourni l’occasion de lire un écrit qui est une véritable curiosité littéraire et historique. Le Barde endormi est en effet surtout une curiosité historique