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Les lieux-communs de la sentimentalité religieuse ne viennent jamais, Dieu merci, déshonorer les pages de l’auteur. Elle a une manière à elle de pleurer comme de sourire, vive, rapide, un peu bizarre, car la bizarrerie ne lui déplaît pas. Elle aime à exprimer d’un trait pénétrant et poétique ces contrastes mobiles où les âmes vraies se révèlent comme dans un éclair : par exemple une larme qui brille sur un visage gai, un sourire qui réchauffe une physionomie mélancolique, deux yeux inondés de la lumière humide qui naît de l’attendrissement du cœur, l’épanouissement sympathiquement drolatique d’une belle âme sur un visage excentrique. Tous ces jeux de la lumière morale sur le visage humain sont du domaine de Mme de Gasparin. Et ses personnages, comme ils sont vrais et en même temps originaux ! Toutes les bizarres petites figures qu’elle nous présente sont vraiment pour nous de nouvelles connaissances. Comme elles ressemblent peu à tous les héros ordinaires dont la littérature courante nous présente les images mille fois répétées ! Ce sont des exceptions, mais des exceptions qu’on n’oublie plus, et qui restent dans la mémoire comme des types (oui, des types, quoique l’auteur les dessine en quelques traits rapides et se contente de quelques paroles pour leur faire exprimer leurs sentimens) de certains états de l’âme, de certaines situations morales, de travers et de plis particuliers du caractère humain. Les silhouettes et les ébauches de portraits de Mme de Gasparin satisfont aux deux grandes conditions de tout art, car ses petits personnages sont à la fois des individus et des types ; ce sont des individus qu’elle seule a vus, et que le lecteur n’avait jamais soupçonnés avant qu’ils lui fussent présentés, et cependant ce sont des types, tout microscopiques qu’ils soient, car le lecteur les comprend à première vue et les rattache sans effort à l’humanité générale. Jamais excentriques, — ces personnages sont tous ou excentriques ou placés dans des Conditions excentriques, — n’ont été plus faciles à ramener au centre commun de l’humanité.

Voulez-vous connaître quelques-uns des personnages de ce Lilliput moral ? Ce ne sont pas des jeunes premiers, je vous en préviens, ni des pères nobles, ni des duègnes majestueuses, ni des soubrettes fines et déliées. Vous ne trouverez dans le répertoire protestant de Mme de Gasparin aucun des types du répertoire romanesque ordinaire. Ils ne brillent pas par la beauté ; ils paraîtraient même laids à un œil vulgaire. Ils ne brillent pas davantage (à une seule exception près) par l’élégance, ni par cette qualité que dans le monde on nomme l’esprit. Si vous les introduisiez subitement dans un salon parisien, ils attireraient des sourires sur toutes les lèvres, tant ils paraîtraient gauches, timides et singulièrement accoutrés ; mais ils valent mieux que leur apparence humble et chétive, et ils