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Madagascar n’en est pas moins déclaré par les traités mêmes de 1815 possession et colonie française. Nous pouvons nous y établir avec bien plus de droit que les Anglais ne l’ont fait à Aden et à Périm, et il est impossible que la France ait promis à l’Angleterre de n’entreprendre sur Madagascar aucune tentative de sérieuse colonisation. C’est au contraire vers la grande île qu’il faudrait dès à présent songer à envoyer l’excédant de notre population continentale ; tout y appelle les Français, et, en colonisant Madagascar, ils se laveraient d’un reproche qu’on ne leur adresse aujourd’hui que trop souvent, celui de ne plus savoir fonder de colonies. Ce qu’il y aurait surtout à leur reprocher, c’est de ne plus savoir fonder de colonies libres, les seules qui puissent vraiment prospérer et grandir ; mais ici le blâme paraît devoir moins peser sur la nation que sur l’état, comme l’exemple de l’Algérie le prouve. Les Français sont plus hardis voyageurs et meilleurs colons qu’on ne le croit. Quinze mille de nos compatriotes sont encore en Californie, gaiement occupés sur les placers ou dans les villes de ce naissant état. À six mille lieues de la France, ils ont pris goût à la vie d’aventures. Et pourquoi ? C’est qu’ils jouissent en Californie de larges concessions de terres et d’une grande liberté de mouvement sous un gouvernement civil, non pas sous un pouvoir militaire, qui ne saurait convenir aux colonies en voie de formation.

La colonisation de Madagascar ne pourrait-elle donc être entreprise dans ces conditions ? Ne serait-il pas temps de développer à la fois notre commerce colonial et notre marine marchande, pépinière de la marine de l’état ? Cette dernière a reparu sur toutes les mers, et notre pavillon, autrefois absent, flotte aujourd’hui partout à côté de celui de l’Angleterre. Je l’ai moi-même salué, dans de récens voyages, devant Suez, Aden, les Seychelles et l’île Maurice. Dans ces deux dernières colonies, qui appartenaient naguère à la France, j’ai trouvé de vieux créoles émus de revoir les trois couleurs et restés Français malgré les traités et la distance : à la même époque, notre drapeau se déroulait aussi sans doute devant Mascate et Zanzibar et devant les rivages malgaches ; mais si notre marine promène ainsi à travers le monde la grandeur et l’éclat de la France, que ce ne soit pas au moins sans quelque profit réel. Encore une fois, si la politique que nos voisins suivent sur les mers est bonne et admissible, nous devons l’imiter nous-mêmes ; si elle est blâmable, ce n’est pas notre attitude actuelle qui en arrêtera les effets.


L. SIMONIN.