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Aujourd’hui la liberté commerciale est proclamée en France, et de pareils faits ne se représenteront plus ; mais notre système colonial n’est pas changé. On se plaint que la France n’a plus de colonies : elle a cependant l’Algérie, dans une position exceptionnelle, et qu’elle ne peut pas coloniser ; elle a la Guyane, le Sénégal, dans une situation des plus belles, et qui sont loin d’être en grand progrès ; elle à la Nouvelle-Calédonie, très heureusement placée aussi, et surtout très richement dotée de la nature, mais où elle n’a encore que des marins ; elle a des droits sur Madagascar qu’elle paraît avoir oubliés ; enfin elle vient de fonder des comptoirs en Cochinchine ; mais partout nous ne voyons que des matelots et des soldats, et peu de côlons. C’est là notre vice : c’est par la liberté, et non par la discipline militaire, c’est avec la bêche, et non avec le sabre qu’on fonde des colonies. Dans celles qui nous restent, témoignage d’une antique splendeur, toute vie municipale a été détruite, et ce fut un tort des plus graves. Vous vous plaignez de l’absentéisme des colons, et vous avez anéanti chez eux tout ce qui pouvait les attacher au sol après l’amour du gain. C’est le retour de cette vie municipale, libre, expansive, nécessaire à la bonne marche des affaires intérieures, que nos colonies, imitant l’exemple de Maurice, devraient réclamer de la métropole, non le stérile honneur, auquel elles semblent attacher tant de prix, d’envoyer des députés au corps législatif, bien entendu en excluant les noirs et les mulâtres. En Angleterre, les députés du parlement ne sont pris que dans la Grande-Bretagne ; mais les colonies jouissent d’une vie propre, elles ont même leurs chambres haute et basse quand elles ont une certaine importance, comme le Canada, le Cap, l’Australie. Nous ne parlons pas de l’Inde, qui vit sous un régime spécial récemment modifié. On argue contre cette vie politique laissée aux colonies le désir qui leur vient plus tard de se séparer de la métropole. C’est vouloir faire, selon nous, un cas général d’un cas particulier. De ce que les États-Unis se sont détachés de l’Angleterre, et dans le principe bien malgré eux, il ne s’ensuit pas que toutes les autres colonies anglaises feront de même. L’exemple est là pour le prouver : le seul pays dont on a cru la fidélité suspecte, le Canada, n’a jamais montré des intentions vraiment séparatistes. Et quand cela serait après tout, quel mal y aurait-il à fonder de grands empires par le monde, et à les laisser vivre de leur vie propre quand le moment serait venu ? Serait-il extraordinaire que cette loi qui règle le développement de tous les êtres animés réglât aussi le développement colonial ?


L. SIMONIN.