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sans doute séparée dans quelque convulsion de la nature. Le sol de cette partie de l’Arabie est loin en effet d’avoir pris son assiette, et le fond de la mer y renferme encore des volcans en activité. J’ai vu moi-même cette année le vapeur Norna, ancré dans la baie de Steamer-Point, environné un matin de pierres ponces rougeâtres flottant à la surface de l’eau, et vomies la nuit par un cratère sous-marin.

Steamer-Point est le port de relâche de tous les grands navires ; mais les Arabes, les Soumalis, les banians de Bombay, préfèrent toujours l’ancien port d’Aden. Les boutres de tous ces marins igno-ans ne se mettent à la mer qu’avec les moussons favorables, qui, soufflant six mois dans une direction et six mois dans une autre, permettent au moins deux voyages par an. Il n’y a plus qu’à mettre la voile au vent, et c’est l’Eole indien qui se charge du soin de la traversée.

Les Soumalis apportent de leur pays de Soumal, qui borde la côte orientale d’Afrique vers l’île de Socotora, de la gomme, des aromates, de l’ambre jaune, de l’ivoire, des plumes d’autruche, des moutons, des bœufs et des mules. Berberah est le principal port où s’embarquent tous ces produits ; il est situé sur le rivage africain, en face d’Aden, et il s’y tient toutes les années une foire célèbre, où les caravanes arrivent des plus lointaines contrées de l’intérieur. C’est après cette foire que la plupart des Soumalis dirigent leurs marchandises sur Aden. Quelques négriers arrivent aussi de la côte de Soumal, chargés d’esclaves pour l’Arabie ; mais les croiseurs anglais font souvent des razzias, et ne s’inquiètent guère que les Arabes traitent leurs esclaves avec plus d’humanité qu’on ne le fait ailleurs. Les noirs délivrés sont engagés par la Compagnie orientale, et travaillent dans les entrepôts de charbon de Steamer-Point. Ils disposent le combustible en tas réguliers sur le rivage, et à l’arrivée de chaque steamer l’amènent à bord et le descendent dans les soutes. Les Soumalis reçoivent pour ce travail un salaire journalier d’un shilling, soit 1 franc 25 centimes. D’une sobriété exemplaire, ils ne vivent que d’un peu de riz. Ils ne font guère plus de frais pour leur vêtement, qui consiste en une simple écharpe de soie jaune dont ils s’enveloppent les reins. Ils iraient volontiers tout nus, si la pudeur britannique ne s’y opposait point. Quelques-uns promènent en mer les passagers des nombreux vapeurs relâchant à Steamer-Point. Les plus jeunes ou les plus paresseux se bornent à éventer les voyageurs dès leur descente sur le rivage, en leur demandant le bakhchich ; d’autres enfin, venus autour du vapeur avec les canots, vont chercher jusqu’au fond de la mer, en dépit des requins, les pièces de monnaie qu’on leur jette.