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d’instruire et de corriger des boxeurs ivrognes. D’un tel homme à de tels hommes, les ménagemens seraient de trop. Au bas de chaque cage, il enferme un vice, il en inscrit le nom, il y ajoute la condamnation prononcée par l’Écriture ; il l’étale dans sa laideur, il l’enfonce dans son ordure, il le traîne à son supplice, en sorte qu’il n’y a pas de conscience si faussée qui ne le reconnaisse, ni de conscience si endurcie qui ne le prenne en horreur.

Regardez bien, voici des leçons qui portent : celle-ci est contre le gin. Sur un escalier, en pleine rue, gît une femme ivrogne, à demi nue, les seins pendans, les jambes scrofuleuses ; elle sourit idiotement, et son enfant, qu’elle laisse tomber sur le pavé, se brise le crâne. Au-dessous un pâle squelette, les yeux clos, s’affaisse tenant en main son verre. Alentour l’orgie et le délire précipitent l’un contre l’autre des spectres déguenillés. Un misérable qui s’est pendu vacille dans une mansarde. des fossoyeurs mettent au cercueil un cadavre de femme nue. Un affamé ronge côte à côte avec un chien un os qui n’a plus de viande. À côté de lui, des petites filles trinquent, et une jeune femme fait avaler du gin à son enfant à la mamelle. Un fou embroche son enfant, l’emporte ; il danse en riant, et la mère le voit.

Encore un tableau et une leçon, cette fois contre la cruauté. Le jeune homme barbare, devenu assassin, a été pendu, et on le dissèque. Il est là sur une table, et le président tranquillement indique de sa baguette les endroits où il faut travailler. Sur ce geste, les opérateurs taillent et tirent. L’un est aux pieds ; le second, homme expert, vieux boucher sardonique, empoigne un couteau d’une main qui fera bien son office, et fourre l’autre dans les entrailles qu’on dévide plus bas pour les mettre dans un seau. Le dernier carabin extirpe l’œil, et la bouche contractée a l’air de hurler sous sa main. Cependant un chien attrape le cœur qui traîne à terre ; des fémurs et des crânes bouillent en manière d’accompagnement dans une chaudière, et les docteurs tout alentour échangent de sang-froid des plaisanteries chirurgicales sur le sujet qui, morceau par morceau, va s’en aller sous leur scalpel.

Vous direz que des leçons de ce goût sont bonnes pour des barbares et que vous n’aimez qu’à demi ces prédicateurs officiels ou laïques, de Foe, Hogarth, Smollett, Richardson, Johnson et les autres ; je réponds que les moralistes sont utiles, et que ceux-ci ont changé une barbarie en civilisation.


H. TAINE.