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ce qui doit expliquer pourquoi la colonie de Bourbon, plus fertile et sous des conditions atmosphériques peut-être plus favorables que l’île Maurice, produit cependant deux fois moins de sucre que son heureuse rivale, et fait un commerce deux fois moins important que le sien. À Maurice, les Anglais ont commencé par agir en habiles politiques : dès le lendemain de la conquête, ils ont respecté les lois, les coutumes, la religion, la langue des vaincus. Ce principe de grande tolérance est le premier en matière de colonisation, on l’oublie quelquefois aujourd’hui ; mais les Romains, nos maîtres dans l’art de conquérir et de coloniser, l’avaient toujours présent à l’esprit. Ensuite la vie politique coloniale a été respectée ou plutôt introduite à Maurice. Ce pays a joui bien vite d’une très grande liberté, et les Anglais n’ont pas tardé à en faire un véritable municipe, comme en offre l’antique Rome. Le conseil législatif a remplacé en 1832, sur les réclamations des colons, le conseil du gouvernement, qui dès 1825 servait à pondérer le pouvoir presque dictatorial auparavant du gouverneur. Dès 1820, Port-Louis était ouvert aux vaisseaux étrangers, et le trafic de la colonie avec l’Angleterre établi sur le même pied que celui ; des Indes occidentales ; enfin le port de Mahébourg était livré au commerce en 1836. La traite des esclaves avait été solennellement prohibée par acte du parlement britannique en 1813 ; l’abolition de l’esclavage, prononcée par le même parlement en 1833, était mise en exécution à Maurice des 1835, Comme pour préparer cette grande mesure, le conseil de la colonie avait déjà supprimé en 1829 toutes les distinctions blessantes qui avaient jusque-là existé entre les blancs et les gens de couleur, et décrété l’égalité civile et politique des deux classes. En 1832, en même temps que le gouvernement accordait aux colons la formation d’un conseil législatif, il faisait droit à leur demande sur un autre point, et la liberté de la presse était proclamée dans la colonie. Enfin en 1849, par ordonnance du conseil législatif, une corporation municipale était instituée à Port-Louis.

Nous sommes loin de retrouver les mêmes libertés à La Réunion. Ici, c’est un gouverneur qui discute presque sans appel toutes les questions qui intéressent le pays. Le conseil privé qui l’entoure, est formé de l’ordonnateur, du directeur de l’intérieur, du procureur-général, du contrôleur colonial, tous personnages fort respectables, mais fonctionnaires de l’état, et tous, si peu payés qu’il y a quelque honte a rapprocher leurs maigres appointemens de ceux des employés anglais[1]. On n’appelle dans le conseil que deux habitans

  1. Exemples : le gouverneur de Maurice reçoit par an 175,000 fr., celui de La Réunion 60,000 francs ; le procureur-général touche à Port-Louis 50,000 fr., à Saint-Denis 15,000 francs. On dit qu’un projet de loi doit élever le traitement du gouverneur de La Réunion à 70,000 fr. et ceux des chefs de service à 20,000. Les traitemens des fonctionnaires anglais de l’île voisine n’en resteront pas moins supérieurs de plus du double.