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national, l’ami de Fielding, le contemporain de Jonhson, l’exact imitateur des mœurs nous montrera le dehors comme ils nous ont montré le dedans.

Nous entrons dans cette grande bibliothèque des arts. La noble chose que la peinture ! Elle embellit tout, même le vice. Aux quatre murs, sous ces vitres transparentes et reluisantes, les torses se soulèvent, les chairs palpitent, la tiède rosée du sang court sous la peau veinée, les visages parlans se détachent dans la lumière ; il semble que le laid, le vulgaire et l’odieux aient disparu du monde. Je ne juge plus les caractères, je laisse là les règles morales. Je ne suis plus tenté d’approuver ni de haïr. Un homme ici n’est qu’une tache de couleur, tout au plus un emmanchement de muscles ; je ne sais plus s’il est assassin.

La vie, le déploiement heureux, entier, surabondant, l’épanouissement des puissances naturelles et corporelles, voilà ce qui de tous côtés afflue vers les yeux et les réjouit. Nos membres involontairement se remuent par l’imitation contagieuse des mouvemens et des formes. Devant ces lions de Rubens, dont les voix profondes montent comme un tonnerre vers la gueule de l’antre, devant ces croupes colossales qui se tordent, devant ces mufles qui remuent des crânes, l’animal en nous frémit par sympathie, et il nous semble que nous allons faire sortir de notre poitrine une clameur égale à leur rugissement.

En vain l’art a-t-il dégénéré ; même chez des Français, chez des faiseurs d’épigrammes, chez des abbés poudrés du XVIIIe siècle, il reste lui-même. La beauté est partie, mais la grâce demeure. Ces jolis minois fripons, ces fins corsages de guêpe, ces bras mignons plongés dans un nid de dentelles, ces nonchalantes promenades parmi des bosquets et des jets d’eau qui gazouillent, ces rêveries galantes dans un haut appartement festonné de guirlandes, tout ce monde délicat et coquet est encore charmant. L’artiste, alors comme autrefois, cueille dans les choses la fleur, et ne s’inquiète pas du reste.

Mais Hogarth, qu’est-ce qu’il a voulu ? qui a jamais vu un pareil peintre ? Est-ce un peintre ? Les autres donnent envie de voir ce qu’ils représentent ; il donne envie de ne pas voir ce qu’il veut représenter.

Y a-t-il rien de plus agréable à peindre qu’une ivresse de nuit, de bonnes trognes insouciantes, et la riche lumière noyée d’ombres qui vient jouer sur des habits chiffonnés et des corps appesantis ? Chez lui au contraire, quelles figures ! La méchanceté, la stupidité, tout l’ignoble venin des plus ignobles passions humaines en suinte et en distille. L’un flageole debout, écœuré, pendant qu’un hoquet entr’ouvre ses lèvres écumantes ; l’autre hurle rauquement, en