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des examens de conscience et des résolutions de conduite. Avec des préjugés et des ridicules, il à la profonde conviction, la foi active, la sévère piété morale. Il est chrétien de cœur et de conscience, de raisonnement et de pratique. La pensée de Dieu, la crainte du jugement final, le préoccupent et le réforment. « Garrick, dit-il un jour, je n’irai plus dans vos coulisses, car les bas de soie et les poitrines blanches de vos actrices excitent mes instincts amoureux. » Il se reproche son indolence, il implore la grâce de Dieu, il est humble et il a des scrupules. — Tout cela est bien étrange. Nous demandons aux gens ce qui peut leur plaire dans cet ours bourru, qui a des habitudes de bedeau et des inclinations de constable. On nous répond qu’à Londres on est moins exigeant qu’à Paris en fait d’agrément et de politesse, qu’on y permet à l’énergie d’être rude et à la vertu d’être bizarre, qu’on y souffre une conversation militante, que l’opinion publique est tout entière du côté de la constitution et du christianisme, et qu’elle a bien fait de prendre pour maître l’homme qui par son style et ses préceptes s’accommode le mieux à son penchant.

Sur ce mot, nous nous faisons apporter ses livres, et au bout d’une heure nous remarquons que, quel que soit l’ouvrage, tragédie ou dictionnaire, biographie ou essai, il garde toujours le même ton. « Docteur, lui disait Goldsmith, si vous faisiez une fable sur les petits poissons, vous les feriez parler comme des baleines. » En effet, sa phrase est toujours la période solennelle et majestueuse, où chaque substantif marche en cérémonie, accompagne de son épithète, où les grands mots pompeux ronflent comme un orgue, où chaque proposition s’étale équilibrée par une proposition d’égale longueur, où la pensée se développe avec la régularité compassée et la splendeur officielle d’une procession. La prose classique atteint la perfection chez lui comme la poésie classique chez Pope. L’art ne peut être plus consommé ni la nature plus violentée. Personne n’a enserré les idées dans des compartimens plus rigides ; personne n’a donné un relief plus fort à la dissertation et à la preuve ; personne n’a imposé plus despotiquement au récit et au dialogue les formes de l’argumentation et de la tirade ; personne n’a mutilé plus universellement la liberté ondoyante de la conversation et de la vie par des antithèses et des mots d’auteur. C’est l’achèvement et l’excès, le triomphe et la tyrannie du style oratoire. Nous comprenons maintenant qu’un âge oratoire le reconnaisse pour maître, et qu’on lui attribue dans l’éloquence la primauté qu’on reconnaît à Pope dans les vers.

Reste à savoir quelles idées l’ont rendu populaire. C’est ici que l’étonnement d’un Français redouble. Nous avons beau feuilleter son