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— La bonne folie !… Vous demandez sa main à une jeune personne dont vous ne savez même pas le nom ?… Voilà ce qu’on peut bien appeler « un coup de foudre ! » Vit-on jamais rien d’aussi absurde ?…

Et la bonne dame riait aux larmes. Saxon se mit à rire, lui aussi. La jeune personne était toujours très sérieuse. — Ah çà ! maman, dit-elle d’un ton fort délibéré, vous m’avez souvent dit que le premier amour était le plus sincère de tous. Vous ne songez qu’à m’établir. Si M. Saxon Wornton… (elle avait fort bien retenu le nom), si M. Saxon Wornton désire m’épouser, et si ce projet m’est agréable, pourquoi vous en moquer ?…

Les deux rieurs redevinrent aussitôt fort graves.

— Veuillez, ma chérie, vous retirer quelques instans chez vous…

— Oui, maman… — Et elle se leva. Il se leva aussi, et elle s’avança vers lui pour lui tendre une main qu’il saisit et serra galamment, mais avec un certain trouble ; puis elle sortit.

Miss Dasert (je parle de la plus âgée) n’était point ce qu’on appelle « une femme du monde. » La conduite de sa fille, de son élève pour mieux dire, l’étonnait un peu, mais ne la choquait guère. Elle n’y voyait rien qui dût scandaliser personne, et n’avait pas conscience de l’étourdissement dans lequel Saxon était plongé. Bonne personne et un peu timbrée, cette chère miss Dasert !

— Vous comprendrez sans peine, dit-elle au jeune homme de plus en plus ébahi, que je ne puis admettre aucun entretien sur ce qui vient de se passer avant que vous ne vous soyez complètement renseigné à notre sujet. Vous n’avez qu’à demeurer ici pour en savoir long sur nos façons de vivre, et vous trouverez toujours bon accueil dans cette partie de la maison, sur laquelle j’ai des droits exclusifs… Les mariages précoces, ajouta-t-elle d’un air rêveur, sont, je crois, les plus heureux… Enfin nous verrons…

Puis ils bavardèrent de mille sujets, de la maison, de ceux qui l’habitaient, de Footunder, de l’Angleterre, des Allemands en général et des étudians en particulier, de la cuisine germanique, etc. En moins d’une demi-heure, le grand enfant avait fait la conquête de l’aimable vieille dame, et il était aux anges de lui avoir plu si vite.

Lorsque ces dames, après qu’il fut rentré dans sa chambre, s’expliquèrent ensemble sur son compte, miss Dasert l’aînée, avec une admiration toute juvénile, se déclara très enchantée de la rencontre dans le jardin, et ne dissimula ni l’admiration qu’elle éprouvait pour ce beau jeune homme, ni la confiance parfaite qu’elle avait en lui, en sa moralité, en ce qu’il avait dit de sa position sociale. Tout naturellement l’imagination de l’innocente jeune fille s’exalta de plus en plus, et, quand elle descendit à la table d’hôte, se regardant