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hommes sortirent pour aller les prendre dans l’antichambre. Le Bruce, qui maintenant hurlait son chant de guerre avec un redoublement de haineuse emphase, surprit pourtant cet ordre donné à demi-voix, ou plutôt il le devina sur la physionomie des gardiens. Par un bond de tigre, il s’élança sur les pas de ceux qui sortaient. Juste ciel !… il venait de pousser les verrous massifs de cette porte solidement charpentée. Et il ne restait que trois gardiens dans le salon, — trois gardiens au milieu de quinze fous !

Seul, le Bruce était armé. Brandissant sa lourde claymore et le dos appuyé à la porte qu’il venait de fermer, il défiait les Anglais et appelait toute l’Ecosse autour de lui. « L’Ecosse » accourait se ranger sous son drapeau. Les femmes avaient sagement battu en retraite, et dans deux petits boudoirs adjacens jouaient aux cartes, ou regardaient d’un air rêveur cette scène tumultueuse, qui ne leur disait absolument rien.

Ce fut pour les gardiens un moment de terrible angoisse. « Brisez la porte ! » cria le chef. À cet ordre répondirent des coups violens, en vain frappés sur cette porte aux ais robustes, et un autre cri, parti de l’antichambre : « Ouvrez donc, vous autres !… » Ici les chants cessèrent tout à coup.

Le Bruce comprenait parfaitement ses devoirs et sa responsabilité comme général en chef. Il était redevenu calme et presque sérieux. Un des fous, — un vieillard, — grimpa sur une chaise, et on le vit s’emparer d’un bâton de rideaux. La seconde d’après, trois piques étaient ainsi improvisées. Le Bruce, du doigt, indiqua la cheminée, et en un clin d’œil une demi-douzaine de barreaux de fer passèrent entre les mains des « Écossais. » Déconcertés et stupéfaits, les gardiens n’osaient plus bouger. L’ennemi prenait sur eux un ascendant bien marqué. Cependant le vacarme, dans l’antichambre, devenait de plus en plus effrayant. On battait la porte maintenant avec quelque objet plus lourd que des bâtons plombés. Le Bruce reprit sa chanson ; le chœur lui répondit de plus belle. On se jeta sur les trois gardiens. Ils moururent comme des hommes… — ou comme des rats.

La porte enfin céda. Deux domestiques étaient accourus à l’appel des trois gardiens isolés à l’extérieur du salon ; mais les fous avaient la tête montée. Leurs antagonistes manquaient d’armes à feu, et ils avaient encore, eux, une grande supériorité de nombre. Les gardiens en avaient assommé deux, pas davantage, et ces deux étaient déjà vengés. Chaque gardien tombé à terre y restait, foulé aux pieds, rompu à coups de bâton ou de barre. L’un des survenans prit la fuite, et le Bruce de courir après lui. Le malheureux descendit jusque dans la cour, espérant de là gagner la lande ; mais il fut rejoint. Une lutte s’engagea. Le Bruce le traîna jusqu’à l’orifice d’un