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eux-mêmes, sans frein, sans garde-fou, s’il n’y avait pas eu là cette ancienne et puissante institution, devenue leur famille, qui leur offrait à tous un appui, un contrôle, des devoirs, des honneurs, ou tout au moins des espérances ? La licence fut grande malgré l’Académie ; sans elle, il ne fût rien resté debout. »

Que l’on ne s’exagère pas au surplus l’étendue des concessions faites par la compagnie à l’esprit du siècle, ni l’influence de cet esprit même sur la marche de l’art contemporain. Boucher n’attend pas longtemps, il est vrai, le titre d’académicien, et de plus il lui arrive, vers la fin de sa vie, de s’asseoir en qualité de directeur dans le fauteuil qu’avaient occupé, depuis Lebrun jusqu’à Dumont le Romain, des gens mieux en mesure que lui d’y figurer avec éclat ou tout au moins d’y faire bonne mine. À la suite de ce peintre de boudoir, devenu le peintre des résidences royales, il n’est pas, j’en conviens, jusqu’aux peintres de petite maison, jusqu’à des hommes comme Baudoin, qui ne réussissent parfois à se faufiler dans le sanctuaire de l’art français, et à y introduire quelque chose de plus profane que les galanteries mythologiques, de moins aisément pardonnable que les faux agrémens ou les-négligences du style ; mais les complaisances de l’Académie sur ce point sont rares après tout. Elles trouvaient d’ailleurs leur correctif dans les choix faits la veille ou préparés pour le lendemain, dans le droit qu’on avait et qu’on exerçait sans relâche d’appeler à soi tous les talens dont le concours semblait utile, tous les artistes, quel qu’en fût le nombre, qui avaient donné déjà les gages ou les promesses d’une habileté sérieuse. Aussi se tromperait-on gravement si l’on jugeait seulement les doctrines et les œuvres de l’Académie au XVIIIe siècle sur ce que nous en apprennent les coquetteries pittoresques ou les idylles grivoises de l’époque. Il avait bien fallu faire la part aux apôtres de l’art nouveau, parce que ceux-ci représentaient une fraction notable de l’école française ; mais il eût été aussi imprudent alors qu’il serait injuste aujourd’hui de leur attribuer le premier rôle.

À côté ou au-dessus des Boucher, des Fragonard et de ces autres talens mensongers qu’un retour de la mode a, depuis quelques années, beaucoup trop remis en honneur, il y avait des peintres profondément sincères comme Chardin, ingénieux comme Joseph Vernet et Greuze, hautement habiles comme Doyen. Il y avait, surtout chez les peintres et chez les sculpteurs de portrait, un fonds de véracité, de science sûre, une franchise dans le sentiment et dans les moyens d’exécution qui honorent bien autrement l’art national que ne le sauraient faire les grâces conventionnelles des artistes auteurs de toutes ces menues allégories ou de ces prétendues pastorales. Enfin, si l’on examine les publications scientifiques, les ouvrages sur l’histoire