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les insurgés appartenant à la confrérie de Saint-Luc. Un peu plus tard, il est vrai, le seul artiste qui put se croire en mesure de tenir tête à Lebrun, Pierre Mignard, essaiera de donner à cette insurrection l’importance et les proportions d’un combat régulier ; mais le jour viendra aussi où la lutte cessera même de ce côté, où le chef des adversaires, ouvertement transfuge, échangera contre le titre de directeur de l’Académie ses inimitiés et sa résistance[1]. Plus d’embarras sérieux dès lors, plus de conflits ni de rivalités possibles. Il y eut bien encore, de la part des membres de la maîtrise, quelques velléités de tracasserie parfois, quelques contraventions même au pacte établi : l’Académie était désormais trop sûre de ses forces, trop affermie dans ses conquêtes pour avoir rien à redouter du dehors. Elle laissa donc s’user d’eux-mêmes, et sans paraître s’en préoccuper, ces derniers efforts d’un parti aux abois. Les maîtres, de leur côté, finirent par se résigner à l’humble condition qui leur était faite. Dépourvus de privilèges et de moyens d’influence sur l’opinion, réduits, dans le siècle suivant, au droit de tapisser de leurs tableaux, à certains jours de l’année, les murs de la place Dauphine, tandis que la faveur d’une exposition dans un salon du Louvre était réservée aux ouvrages des académiciens, ils ne se recrutèrent plus que parmi les incapables, et n’existèrent plus, à vrai dire, pour les artistes et pour le public.

L’Académie royale au contraire ne comptait pas un demi-siècle d’existence que, depuis Lesueur jusqu’à Largillière, depuis Girardon jusqu’à Gérard Edelinck, tous les peintres, tous les sculpteurs, tous les graveurs dont les œuvres ont survécu, avaient tenu à honneur d’appartenir à la compagnie, quelques-uns assez tardivement sans doute, comme Mignard et Michel Anguier, la plupart aussitôt qu’ils s’étaient crus dignes d’être admis. Pourquoi, chez tous les artistes de quelque valeur, ces empressemens ou ces retours d’ambition ? S’agissait-il seulement des prérogatives attachées au titre d’académicien ? Certes elles avaient bien leur importance ; mais ce qui n’importait guère moins, c’était l’avantage qu’on trouvait, au point de vue du progrès, dans une association intime avec ses pairs, dans un échange perpétuel d’idées et de doctrines, dans cet esprit de corps

  1. L’accommodement toutefois ne laissait pas de présenter dans les formes des difficultés assez graves. Pour mériter d’être appelé aux fonctions de directeur, il fallait, aux termes des statuts, avoir passé préalablement par les divers degrés de la hiérarchie académique. Or Mignard n’avait pas même le titre d’agréé. On prit le parti de le traiter à peu près comme ces enfans de grande maison qui, en entrant au service, recevaient coup sur coup les brevets de tous les grades jusqu’à celui de colonel. Afin de concilier avec les règlemens le choix qu’imposaient les circonstances, la compagnie abrégea autant qu’elle put la durée des épreuves, et Mignard, par ordre du roi d’ailleurs, fut élu dans la même séance agréé, académicien, recteur, chancelier et directeur.