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tant il est bien compris de tous, le mot artiste, n’existait pas à cette époque, ou, ce qui revient au même, n’avait pas l’acception qu’on lui donne aujourd’hui. Si le mot n’existait pas, c’est que l’idée qu’il représente était encore confuse et indéterminée… L’industrie était depuis des siècles organisée, classée, cantonnée en professions distinctes, et comme dans cette classification des arts libéraux les beaux-arts proprement dits n’avaient point une place à part, ceux qui les exerçaient étaient, par la force des choses, assujettis aux mêmes règles, aux mêmes conditions que s’ils eussent fait partie de certains corps de métiers. Les peintres et les statuaires par exemple, quel que fût leur génie, dépendaient de la maîtrise des peintres, sculpteurs, doreurs et vitriers : ainsi le voulaient les lois et les règlemens ; ainsi l’entendaient le corps de la justice, les huissiers et les procureurs, le Châtelet et le parlement. »

En vain, sous les règnes de François 1er et de Henri II, certaines exceptions avaient été faites à ce régime avilissant. Quelques talens, reconnus hors de pair, s’étaient installés à la cour sur un pied fort différent à tous égards de l’humble condition imposée par la coutume à quiconque maniait bien ou mal la brosse ou le ciseau. En dehors du palais, les choses ne changeaient pas pour cela, et comme le plus souvent c’était à des maîtres étrangers qu’avaient été accordées les faveurs royales, on ne trouvait peut-être dans ce fait qu’un motif de plus pour tenir l’art national en suspicion ou en discrédit, et pour accepter sans scrupule le pêle-mêle légal où vivaient ici les artisans et les artistes. Ceux-ci toutefois commencèrent à comprendre et à faire valoir leurs droits. Depuis qu’ils avaient vu à Fontainebleau le Primatice et les siens accueillis et fêtés presque à l’égal des grands seigneurs, ils s’étaient demandé si, sans arriver d’Italie et pourvu qu’on eût du talent, on ne pouvait attirer sur soi quelque chose de cette considération et de ces égards. Ils s’étaient demandé s’il ne devait y avoir pour eux d’autre récompense que le salaire, d’autre association que la communauté des intérêts mercantiles, et si, en les condamnant, comme par le passé, au joug de la maîtrise, l’usage se montrerait plus intraitable que le bon sens, plus rigoureux que le roi lui-même. Aussi, à partir de ce moment, les voit-on travailler sans relâche à une réforme qu’ils n’obtiennent pourtant, définitive et complète, qu’après quatre-vingts années d’une guerre où l’on se bat de part et d’autre à coups de requêtes, d’assignations, de toutes les armes que peut fournir la procédure, où les lettres patentes successivement délivrées par Charles IX, par Henri III, par Louis XIII, pour retremper l’autorité de la maîtrise, ne réussissent guère qu’à susciter de nouvelles querelles et à irriter le zèle des combattans. Il faut lire dans le livre de M. Vitet l’histoire