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a besoin de recommandations, de privilèges nettement définis, de garanties qui en protègent ce qu’on pourrait appeler l’état civil. Tous, plus ou moins, nous sommes enclins à juger de ses mérites, non sur ce qu’il nous en montre, mais sur ce qu’on nous en dit ; tous nous proportionnons notre estime pour les talens à la renommée qu’on leur a faite ou au rang qu’on leur a assigné. Tant que les peintres dignes de ce nom et les statuaires avaient été confondus dans une même corporation avec les ouvriers, peu de gens s’étaient avisés sans doute de distinguer entre eux et même entre leurs œuvres ; peu de gens attribuaient à l’homme qui savait peindre une chapelle ou sculpter un bas-relief une habileté fort supérieure à celle de l’artisan qu’on appelait pour badigeonner une chambre ou pour fabriquer un meuble. Les préventions ou les méprises formelles de nos aïeux sur ce point ne ressortent-elles pas de l’aridité même des documens historiques en ce qui concerne nos artistes du moyen âge et les successeurs de ceux-ci ? Si au XIIIe siècle par exemple, — l’âge d’or de la sculpture française et de la peinture sur verre, — de bons juges s’étaient rencontrés pour estimer à leur prix les ouvrages qu’ils avaient sous les yeux, n’auraient-ils pas trouvé à propos d’en dire à la postérité quelque chose ? Par malheur, l’histoire de l’art à cette époque se réduit à peu près pour nous aux statuts de la communauté des paintres et tailleurs ymagiers à Paris qu’Etienne Boileau a enregistrés dans son Livre des métiers. Si plus tard la miniature, telle que la traitaient avec Jean Fouquet, dont le nom a survécu par hasard, tant de maîtres aujourd’hui anonymes ; si les portraits dessinés, les crayons, — morceaux souvent exquis où l’on retrouve les titres d’honneur appartenant en propre à notre vieille école, — si tous ces travaux et ceux qui les accomplissaient avaient paru aux contemporains mieux que des objets d’ameublement et des manœuvres, nous n’aurions pas l’humiliation de ne pouvoir opposer, en ce qui nous regarde, que l’ignorance absolue ou de vagues conjectures aux souvenirs positifs, aux témoignages précis qui abondent dans l’histoire de l’art étranger.

Dira-t-on que, par momens, des charges honorifiques, des titres de valet de chambre ou d’employé dans la garde-robe du roi, semblent attribuer aux peintres et aux sculpteurs une sorte de prééminence sur leurs prétendus confrères ? Mais de pareilles faveurs tiraient d’autant moins à conséquence qu’on les accordait plus facilement, et qu’elles récompensaient aussi bien celui dont le pinceau traçait des ornemens sur les harnais ou sur les selles que l’artiste qui venait de peindre le portrait du roi. J’emploie à regret un mot qui n’avait pas cours alors. Comme le fait remarquer M. Vitet, « ce mot aujourd’hui si clair, ce mot qu’on dirait aussi vieux que la langue,