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Nous ne voulons pas dire que M. Rio soit, aujourd’hui surtout, disposé à se faire le patron ou le complice de cette stérile insurrection contre une des gloires les plus inviolables que le passé nous ait léguées. L’ordre chronologique des faits qu’il examine dans les trois volumes publiés jusqu’ici ne lui a pas permis encore d’aborder l’histoire de l’école romaine, et d’ailleurs les jugemens si sains qu’il porte sur Léonard, sur la grâce irrésistible de sa manière là même où cette grâce est assez ouvertement profane, ne laissent pas de nous rassurer sur la justice qu’il saura rendre au peintre de la Transfiguration. Pourtant, si nous nous rappelons bien certains passages de l’ouvrage primitif[1], certaines propositions incidentes où la défection prétendue de Raphaël était dénoncée, condamnée même au nom de la foi ; si, d’une autre part, nous notons dans cette histoire de l’art chrétien, telle que M. Rio nous la donne aujourd’hui, quelques restrictions au moins sévères, quelques mots imprudens, — par exemple sur le caractère « prosaïque, » bien plus sur le « naturalisme tout pur » de telles figures peintes par fra Bartolommeo, — nous craignons un peu qu’aux yeux de M. Rio la peinture ne semble incliner déjà vers le matérialisme, lorsqu’elle n’a fait encore que diversifier plus résolument les formes de l’idéal et en perfectionner l’expression. Nous pouvons craindre du moins qu’on n’interprète en ce sens la réserve ou les réticences du pieux écrivain, et que des disciples mal avisés, en exagérant sa poétique, n’arrivent à préconiser dans l’art l’immobilité hiératique, à imposer au génie même des lignes et des types une fois déterminés, à réduire enfin les conditions de la peinture chrétienne à je ne sais quelle uniformité farouche renouvelée des dogmes égyptiens.

Qu’y a-t-il d’ailleurs au fond de ces soupçons ou de ces critiques à l’adresse des maîtres du XVIe siècle ? Quels signes, quels symptômes accusent l’insuffisance religieuse des œuvres appartenant à cette époque ? Ce qu’on sait de la vie privée des artistes qui les ont faites, tel souvenir biographique médiocrement édifiant, il est vrai, exerce parfois en pareil cas un influence principale sur notre puritanisme esthétique. Bien des gens peut-être, si on ne leur avait rien dit de la Fornarine, admireraient sans difficulté la beauté robuste qu’ils reprochent à la Vierge dite de François Ier. On serait probablement moins sévère pour la seconde manière d’Andréa del Sarto, si elle ne coïncidait dans la vie du peintre avec de fâcheuses aventures

  1. De la Poésie chrétienne dans son principe, dans sa matière et dans ses formes. Forme de l’Art, Paris 1830. — C’est ce premier essai que M. Rio a refondu et développé dans le nouveau travail auquel il a donné le titre moins compliqué de l’Art chrétien, et qu’il eût pu, avec plus d’exactitude encore, intituler de l’Art Chrétien en Italie, puisqu’il y parle seulement des maîtres et des ouvrages italiens.