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du sentiment. C’est par là, c’est par ces infidélités, volontaires ou non, aux exemples pittoresques du passé que Fra Angelico appartient sans anachronisme à son époque, et que lui, l’artiste le plus ingénu peut-être, le plus spiritualiste qui fut jamais, il se rattache à un groupe de novateurs moins naïvement émus pour la plupart qu’habiles à scruter les secrets des choses, moins attentifs à la voix mystérieuse de l’infini qu’au spectacle des vérités naturelles et aux leçons de la réalité.

Qu’on ne s’exagère toutefois ni les caractères naturalistes du mouvement qui se manifeste au XVe siècle, ni l’antagonisme créé entre les maîtres de cette époque par la diversité des efforts et des travaux. Si Masaccio, Benozzo Gozzoli et un peu plus tard Domenico Ghirlandaïo réussissent à donner à la représentation de la figure humaine une vraisemblance, une correction imprévue, il ne suit pas de là, tant s’en faut, qu’ils sacrifient à ce progrès le respect de leur propre sentiment, à cette étude scrupuleuse du fait contemporain le droit d’en réviser ou d’en commenter les termes. Si Paolo Uccello et Luca Signorelli, si Botticelli et Filippino Lippi, si vingt autres maîtres poursuivent, chacun dans la mesure de ses aptitudes, un idéal particulier et un genre de beauté nouveau, doit-on voir nécessairement dans ces talens rivaux des talens en hostilité entre eux ? En dehors de l’école florentine, même activité, même curiosité ardente, mêmes succès aussi, obtenus par des moyens contraires et au milieu des complications fécondes qu’amènent la découverte des monumens antiques, la popularité naissante de la gravure, les procédés de la peinture à l’huile, tous les exemples inattendus, tous les secours, toutes les ressources. Dans l’école ombrienne, que, soit dit en passant, l’auteur de l’Art chrétien nous semble doter bien généreusement d’une influence, d’une vertu infaillible, et à laquelle il rattache trop volontiers les faits ou les talens principaux qui se produisent ailleurs, le Pérugin malgré ses redites et la monotonie de sa pratique, Pinturicchio malgré l’élégance un peu grêle de son style, continuent ou plutôt reprennent à leur manière l’œuvre commencée déjà par Gentile da Fabriano et Piero della Francesca. À Venise et à Padoue, deux des plus grands maîtres qui aient paru jamais, Giovanni Bellini et Andréa Mantegna, — à Bologne Francia, — à Ferrare Lorenzo Costa, — partout des artistes spontanément ou studieusement inspirés fondent, accroissent ou renouvellent leur propre gloire et l’honneur de l’art dans leur pays. Il n’est pas jusqu’à Naples, d’ordinaire la plus inerte en ce sens, la moins favorisée des grandes villes de l’Italie, qui n’ait, avant la seconde moitié du siècle, son moment de ferveur pittoresque, et dans le Zingaro son peintre national. Et cependant cette