Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui pourrait, ajoutait-il, « être reçu pour peindre un jeu de paume. » Aujourd’hui sans doute il semblerait plus opportun de lui confier la décoration d’un sanctuaire, et si l’on se rappelle, entre autres témoignages, ce qui subsiste dans les églises de l’Annunziata nell’ Arena à Padoue, de Saint-François à Assise, de l’Incoronata à Naples, il faut convenir que le choix serait bon. En tout cas, l’auteur de l’Art chrétien y souscrirait avec autant d’empressement que personne. Bien qu’on puisse se trouver en désaccord avec M. Rio sur quelques points de détail, — sur l’insuffisance mystique notamment qu’il reproche à la grande Madone conservée aujourd’hui à Florence dans la galerie de l’Académie des Beaux-Arts, — on ne saurait, quant aux vues d’ensemble, quant à l’appréciation générale des talens, contester la justesse de ses jugemens. Les pages consacrées par lui à Giotto, à ses contemporains et à son école sont peut-être les plus instructives qu’on ait écrites en France sur ce sujet, et, mérite assez rare à notre époque, elles ne remettent en lumière que des noms faits pour l’histoire, des œuvres dignes de souvenir.

Tandis que la peinture italienne acceptait ainsi au début l’autorité absolue d’un maître, et que la sculpture, régénérée dès le siècle précédent par Nicolas de Pise, se soumettait avec la même docilité à l’empire de la tradition personnelle, notre école nationale, sans chef reconnu, sans exemples décisifs, sans autre élément de progrès que le zèle et la sagacité de tous, notre école avait produit déjà bon nombre de ces beaux ouvrages que nous admirerions plus résolument peut-être, si nous en connaissions les auteurs. Aucun nom de peintre verrier, aucun nom de miniaturiste ne personnifie pour nous les succès, pendant les XIIIe et XIVe siècles, de deux arts que l’Italie elle-même a proclamés « des arts français. » Les statues qui ornent les porches latéraux de la cathédrale de Chartres et la façade de la cathédrale de Reims, bien d’autres morceaux encore appartenant à la même époque, attestent chez nos sculpteurs une habileté dont leurs contemporains au-delà des monts ne fourniraient pas toujours des preuves aussi sûres. Malheureusement, au lieu d’être, comme à Florence ou à Pise, le privilège éclatant de quelques-uns, cette habileté demeure presque inaperçue dans notre pays, par cela même qu’elle s’y trouve à peu près aux mains de tout le monde ; elle a le tort surtout de n’apparaître ni recommandée par des particularités biographiques, ni environnée de ces souvenirs romanesques qui ailleurs ont immortalisé d’assez tristes héros. Si tel de nos artistes du moyen âge avait eu, comme Andréa del Castagno, le bon esprit d’assassiner ses amis, ou, comme Buffalmacco, l’adresse de les choisir parmi les chroniqueurs de l’époque, il est probable qu’une pareille précaution, en sauvant son nom de l’oubli, eut aussi bien qu’ailleurs assuré parmi