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matière, l’erreur même est louable. Recherchons donc où se trouve la vérité.

Si les conventions diplomatiques se jugeaient comme des matières de droit strict, si les précédens historiques tombaient seulement sous l’interprétation des légistes, les prétentions de la Hongrie et les argumens de M. Deak seraient sans réplique. La Hongrie s’est donnée à un souverain, non à un pays. Ce souverain a proclamé dans une loi célèbre, reconnue par les pouvoirs hongrois, l’indivisibilité de toutes ses couronnes ; mais il n’a pu proclamer l’indivision du gouvernement et de l’administration. La Hongrie était libérale et indépendante quand l’empire germanique était féodal, elle est même restée en dehors de la confédération germanique quand l’Autriche y est entrée avec ses provinces héréditaires. En un mot, la Hongrie a fait un pacte avec une dynastie pour un droit de succession, elle n’a point fait une union politique avec des provinces. Soumettre l’établissement des impôts, l’effectif de l’armée à un pouvoir qui n’est pas hongrois, à une assemblée composée des représentans d’autres provinces que la Hongrie, c’est établir l’union politique de ces provinces et violer l’indépendance de la Hongrie.

Ce langage est logique, mais il appartient plus à un légiste qu’à un homme d’état. Que dit en effet la raison politique invoquée en Autriche par les hommes éclairés de toutes les classes de la société, par ceux que n’aveugle point une passion intéressée ? La Hongrie et l’Autriche se sont unies sous un seul souverain pour terminer des luttes intestines et repousser un ennemi commun, pour mettre un terme à une effroyable effusion de sang humain. Elles se sont abritées sous une même forme monarchique, avec l’esprit du temps et sans réserves, parce que la monarchie d’alors n’en comportait point. Ce ne sont pas seulement les droits souverains qui se sont unis alors sur une même tête, ce sont deux peuples qui se sont associés et mêlés pour se protéger en commun. Le premier acte de cette union sous un même souverain, union réelle, parce que le souverain pouvait dire : « L’état, c’est moi ! » n’a-t-il pas été en effet la délivrance de Bude, la capitale hongroise, reprise aux Turcs par l’empereur Léopold ? Guerres, traités de paix ou d’alliance, tout a été depuis lors non-seulement décidé par le même souverain, mais encore commun entre les deux peuples. L’union, réelle au début s’est cimentée de façon à devenir indissoluble. Les luttes soutenues par l’Autriche contre la plupart des puissances européennes, les emprunts contractés, la politique suivie à l’étranger, tous ces actes de la vie d’un peuple ont été accomplis sans que la Hongrie ait rien stipulé pour sa gloire particulière ou son intérêt privé. On peut dire que, depuis plusieurs siècles, l’histoire ne connaît plus la Hongrie comme une individualité distincte, et la conscience de l’Europe protesterait