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s’étendait par la démission des juges et l’absence de toute législation. Le gouvernement impérial dut prendre un parti extrême. L’empereur se résolut à dissoudre le conseil de la lieutenance et à confier tous les pouvoirs au comte Palffy, nommé son lieutenant. On suspendit tous les municipes, et les commissions des comitats encore existantes furent dissoutes. En outre le pays fut divisé en douze juridictions, dans lesquelles devaient siéger des tribunaux militaires chargés de connaître de tous les crimes, tels que les définit un décret du 5 novembre 1861, et qui rentrent presque tous dans la catégorie des crimes politiques. Ces mesures de rigueur assimilaient beaucoup la situation de la Hongrie à l’état de siège, bien quelles n’aient été accompagnées d’aucune forme blessante, mais pratiquées au contraire avec sagesse et modération. Du côté des Magyars, on a protesté avec calme et dignité. Bientôt, avec ce sens droit propre aux Magyars, et cet esprit qu’on pourrait appeler conservateur même au milieu des entraînemens révolutionnaires, le langage sincère et loyal du nouveau lieutenant du roi, invoquant la nécessité de pourvoir aux besoins administratifs et judiciaires du pays, a trouvé de nombreux échos. La curie de Pesth a invité les autorités judiciaires à reprendre et à continuer leurs fonctions, les administrations ont été réorganisées, de nouveaux obergespän ont prêté serment de fidélité au souverain. Il y a plus, les impôts se paient et le recrutement pourra même s’opérer. L’opposition semble donc, d’un consentement mutuel, se renfermer sur le terrain politique, et faire trêve jusqu’au jour où elle trouvera l’occasion légale de se produire. C’est un succès pour la cause de l’ordre et de la conservation sociale, ce n’est point encore un triomphe pourra politique du gouvernement autrichien. Qu’une nouvelle diète soit convoquée, que des élections se fassent, et sans nul doute les résolutions de la diète récemment dissoute prévaudraient encore. On ne peut jusqu’à présent se faire à cet égard aucune illusion.

Avant de chercher à prévoir quelle peut être la conclusion d’événemens dont nous venons de retracer les phases principales, on nous permettra de revenir sur la valeur des argumens produits dans le débat, et par conséquent sur la légitimité des prétentions exprimées. Le spectacle de tout un peuple ou du moins d’une moitié compacte de la population d’un grand pays revendiquant ses droits anciens, luttant contre un puissant empire pour faire respecter des titres inviolables, cette susceptibilité nationale qui ne se contente pas seulement d’une grande somme de libertés, mais qui ne souffre pas qu’on les lui donne et veut qu’on lui rende le bien qui lui a été injustement ravi, toutes ces luttes dont nous avons entendu le retentissement soutenues pour un avantage purement moral, méritent au plus haut degré l’attention et commandent la sympathie. En pareille