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L’administration s’est mise à l’ouvrage. Il a fallu, pour ouvrir les rues portées au programme, abattre des maisons. On dirait qu’une trombe de Malaunay est passée sur plusieurs quartiers de Rouen ; mais il ne paraît pas, au peu d’empressement que mettent les riverains à reconstruire, que les nouvelles voies aient été tracées avec beaucoup de réflexion. Il est bon de donner du jour et de l’air à des populations entassées dans des rues étroites ; mais pourquoi chercher du nouveau quand le but serait atteint d’une manière beaucoup plus heureuse par la simple continuation d’anciens projets ? Ce qui distingue les monumens de la Grèce, c’est l’art avec lequel ils sont placés autant que la perfection de l’architecture. On voyait le Parthénon de tous les quartiers et de toute la campagne d’Athènes, et le temple du cap Sunium annonçait l’Attique aux navigateurs de l’Archipel. Cet art de doubler la valeur des monumens par la grandeur des perspectives n’a pas été celui des architectes normands, si ce n’est dans le choix de l’emplacement de la jolie église de Notre-Dame-de-Bon-Secours, construite de nos jours sur des souscriptions particulières. Rouen possède des édifices qu’aucune capitale de l’Europe ne peut s’empêcher de lui envier ; mais rien n’est plus obstrué que les abords, et il suffirait d’en dégager la vue et l’accès pour rendre la ville incomparable. C’est ce qu’avait compris M. de Crosne, l’intendant que la révolution trouva sur le siège de Rouen. Il voulait, disait-il, que du beau portail de l’Hôtel-Dieu on vît l’archevêque à l’autel de la cathédrale. Si l’on n’avait pas vu l’archevêque, on aurait au moins admiré, de toute la longueur d’une avenue de 1,100 mètres à percer entre les deux monumens, le merveilleux ensemble du temple. M. de Crosne en a ouvert 500 mètres. Le surplus serait facile à ouvrir, et le premier effet du complément de son projet serait de tirer de leur obscurité la place historique où fut immolée Jeanne d’Arc et celle où naquirent les deux Corneille. Si l’on avait employé à délivrer la cathédrale des ignobles masures entre lesquelles elle est resserrée le quart des fonds dépensés en démolitions jusqu’à présent stériles, outre d’admirables perspectives obtenues, le jour et la salubrité seraient rendus au quartier de la ville qui en a le plus besoin. — Le palais de justice est partout, et non moins en Normandie qu’ailleurs, un lieu de rassemblement : celui de Rouen, à demi construit par Louis XII, et judicieusement terminé de nos jours sans qu’on ait rien changé aux plans du premier architecte, est le plus beau dont se glorifie notre pays. La façade donne sur une rue de quatre mètres de largeur ; elle se rattacherait par un percement d’une cinquantaine de mètres au prolongement de la rue de Crosne. Rouen est du très petit nombre de villes situées sur un fleuve qui n’aient point de grande voie parallèle au courant. Le tracé de M. de Crosne remplit cette condition,