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y est aussi deux fois moindre. L’affranchissement des esclaves, qui a eu lieu en 1835 à Maurice et en 1848 à Bourbon, n’a pas un moment ralenti la production. L’émancipation s’est opérée d’ailleurs sans troubles dans l’une et l’autre île. Lorsqu’elle fut prononcée à Maurice, l’île ne produisait en moyenne que 32 millions de kilogrammes de sucre par an. On vient de voir ce qu’elle a produit en 1860, et la récolte de 1861 doit être plus productive encore. Les mêmes faits s’appliquent trait pour trait à la colonie de Bourbon, et répondent victorieusement à ceux qui défendent encore l’esclavage dans l’intérêt des cultures tropicales. Il est vrai au reste de dire que le nombre des travailleurs a toujours augmenté dans les deux colonies en raison même de la production. Les esclaves ont été remplacés par des travailleurs libres, émigrés de l’Inde et généralement engagés pour un temps fixé à l’avance. En outre l’usage du guano versé autour de chaque pied de canne, surtout dans les terrains nouvellement défrichés ou jusque-là réputés stériles, a largement favorisé le rendement de la récolte. L’île Maurice consomme par an plus de 12 millions de kilogrammes de cet excellent engrais, et l’on estime que le rendement moyen de la canne, depuis l’emploi du guano, s’élève de 15 à 1,800 kilogrammes de sucre par hectare. Certains terrains de l’île Bourbon, d’une fertilité exceptionnelle, par exemple les belles plantations du quartier de Saint-Benoît ou de Saint-Louis, présentent un chiffre de production plus que quadruple, c’est-à-dire égal à 7,500 et 8,000 kilogrammes.

Avec les sirops incristallisables, résidus de la fabrication du sucre, on produit à Maurice et à La Réunion une sorte de rhum que l’on appelle arack. C’est une boisson de médiocre qualité, et qui est loin d’égaler, pour le parfum et le goût, le rhum si estimé des Antilles. Les distilleries où se fabrique ce produit portent le nom de guildives. Elles sont pour l’état une source de revenu, mais fournissent aux travailleurs, qui ne boivent pas de vin, une occasion trop fréquente d’ivrognerie. L’Indien comme le nègre ont pour l’arack un faible très marqué, et le coup de sec leur paraîtrait sans nulle saveur, s’il n’était plusieurs fois répété.

On ne saurait terminer ce qui a trait à la fabrication du sucre à Maurice sans faire observer que ce précieux produit forme à lui seul presque toute la base du commerce d’exportation de la colonie, et que la valeur des sacs de vacoa (ces sacs à contenir le sucre que tout le monde a vus, au moins dans nos ports de mer) atteint près de 5 millions de francs par année. Maurice exporte une certaine quantité de ces sacs dans la colonie anglaise du Cap et dans celle de Natal, sur la côte orientale d’Afrique. À Bourbon, la valeur des sacs de vacoa atteint 2 millions de francs, et des quartiers encore peu fertiles,