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parce que le même vent, arrière d’un côté de la presqu’île, est contraire de l’autre. Dans les circonstances de navigation les plus favorables, la coupure de l’isthme d’Yainville ferait gagner du Havre à Rouen un jour aux bâtimens à voiles, trois heures aux remorqueurs à vapeur : il n’en faut pas davantage, en raison des concordances qui s’établissent entre les durées des nuits et celles des mouvemens des marées, pour transférer aux jours de printemps et d’automne les avantages des jours d’été, aux jours d’hiver ceux des jours de printemps.

M. Frissard, dont la mémoire ne sera jamais oubliée au Havre, a proposé en 1824 de couper l’isthme par un canal de 3 kilomètres de longueur et de la section nécessaire au croisement de bâtimens de 200 tonneaux. Il en estimait la dépense à 1,320,000 fr. ; mais depuis le lit de la Seine s’est approfondi, l’échantillon des navires qui le fréquentent a triplé, l’emploi des chemins de fer a changé tous les procédés de déblais des terres, les capitaux se sont multipliés, en un mot toutes les conditions de l’entreprise sont changées, et les anciens projets ne sont plus acceptables. Peut-être même est-il des personnes hardies qu’effraierait à peine la proposition d’ouvrir dans l’isthme un passage à la Seine tout entière ; elles allégueraient l’avantage de livrer à la culture, par l’atterrissement du lit abandonné de la Seine, 600 hectares du plus riche terrain, d’allonger, par l’élan que donneraient aux marées la rectitude et l’abréviation de leur lit, leur portée en amont de Rouen, d’élever devant les quais de cette ville le niveau des hautes mers, d’étendre aux villes de Louviers et des Andelys le bienfait des renversemens alternatifs des courans de marée. Toutefois, indépendamment des questions de dépenses, auxquelles nous ne regarderions guère s’il s’agissait d’une chose inutile, la réduction des surfaces d’amoncellement des eaux de marée, dont le jeu maintient la largeur des passes de l’embouchure de la Seine, ne serait proposable qu’autant que des observations précises démontreraient que les vitesses des eaux mises en mouvement compenseraient cet inconvénient. La prudence ne permet en attendant de rien demander de plus que l’exécution du projet élargi de M. Frissard.

Le bourg riant de Duclair s’épanouit au débouché de la vallée de Sainte-Austreberte, et ses quais allongés sur la Seine deviennent en automne le rendez-vous de navires qui se chargent de fruits pour l’Angleterre : il sert toute l’année de marché aux denrées de la riche contrée qui l’environne, et concourt par là dans une forte proportion à l’alimentation des populations de Rouen et du Havre. Il n’est point déplacé de noter en passant que les canetons renommés de Rouen s’élèvent à Duclair, et principalement sur la Seine et dans