Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desquels Boileau lisait la préface des livres que Cotin faisait contre lui. Les maîtres et les ouvriers furent dispersés à cette époque désastreuse, et Caudebec perdit en même temps son état industriel et son état militaire : ses fortifications, dominées de trois côtés et impuissantes contre l’artillerie, étaient vendues en 1687 ; il lui restait les avantages attachés au chef-lieu d’une élection ; en 1791, ils furent transférés à Yvetot. Caudebec n’a fait que décliner depuis : il comptait encore 3,000 âmes sous le consulat, n’en avait plus que 2,750 au recensement de 1826, et 2,752 à celui de 1856.

L’ère municipale a légué au Caudebec de nos jours un hospice trop grand pour sa population actuelle, et une église qui est un chef-d’œuvre d’art gothique dans la plus riche de nos provinces en monumens. On a prétendu, parce qu’il y fut travaillé en 1426, qu’elle était un ouvrage de l’occupation anglaise : cette période fut au contraire celle de l’interruption des travaux. L’édifice, commencé en 1416, fut terminé en 1484 par Guillaume Letellier, de Fontaine-le-Pin, près Falaise, qui, dit son épitaphe, en fut maistre-maçon pendant trente ans. On aurait pu mettre sur le marbre de cet humble et grand artiste avec autant de justice que sur celui de sir Christopher Wren à Saint-Paul de Londres : Si monumentum quœras, circumspice. Notre-Dame de Caudebec montre dans son harmonieuse richesse combien les inspirations de l’architecture du XVe siècle l’emportaient sur la froideur guindée de la nôtre ; elle est aussi un témoignage plein de tristesse de la décadence de l’art. Ce que créait l’ancienne communauté, notre temps ne sait pas même l’entretenir, et, les sculptures du clocher s’étant lézardées, on n’a rien imaginé de mieux pour les consolider que de les envelopper dans un grossier briquetage. L’église, humiliée de cet appareil, fait, si j’ose le dire, l’effet d’une très belle et très élégante personne sur l’œil de laquelle serait mis un emplâtre d’hôpital qui aurait déjà servi à d’autres, et cet aspect a l’inconvénient de provoquer les comparaisons entre les œuvres de la centralisation administrative et celles des libertés municipales.

Caudebec ne reprend les apparences de son ancienne prospérité qu’aux jours de marché ; mais il n’y a point dans un si riche pays de décadence irrémédiable. Si la rapidité actuelle des communications exclut les étapes et les entrepôts secondaires, qui sont autrefois entrés pour beaucoup dans le commerce de la ville, la facilité de recevoir et d’expédier par les courans alternatifs de la Seine toute sorte de matières premières et de produits manufacturés appellera tôt ou tard l’attention sur cet atterrage privilégié : peut-être suffira-t-il d’un seul succès individuel pour donner le signal d’une régénération complète. On ne voit, en attendant, d’amélioration