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ni à craindre de ces phénomènes brutaux qui sont à des échéances écartées le grand spectacle et la désolation de ces rives.

De Quillebeuf à Rouen, la rivière enveloppe dans de longs méandres quatre presqu’îles qui sont autant de prolongemens du plateau dans lequel est découpée la vallée. Tantôt les escarpes du plateau s’éloignent du lit, tantôt elles s’en rapprochent : les terres basses sont en général d’une admirable fertilité ; mais l’étage supérieur des presqu’îles, souvent maigre et graveleux, serait peu propre à la culture, et il est couvert de forêts qui n’occupent pas sur les versans immédiats de cette partie du cours de la Seine moins de 30,000 hectares. Cette masse de bois exerce sur l’état physique de la contrée la plus salutaire influence ; elle absorbe les vapeurs tièdes dont est chargée l’atmosphère, et les rend en eaux limpides aux étages inférieurs. On dirait le sol forestier fatigué sur beaucoup de points de porter des bois durs : les jeunes chênes y sont mal venans et rabougris, tandis que les conifères semés en massifs de place en place, notamment dans la forêt de Roumare, y sont d’une remarquable vigueur. Le contraste que forment entre elles ces plantations montre qu’on n’a pas toujours assez tenu compte, dans l’aménagement de ces forêts, des lois d’assolement qui régissent les grands végétaux aussi bien que les petits. La terre, épuisée des sucs propres à l’alimentation de telles espèces, ne les renouvelle qu’en se reposant dans une production différente. Cette rotation s’établit sans intervention de l’homme dans les Alpes, où les essences diverses sont assez rapprochées les unes des autres pour que leurs semences se rencontrent sur les mêmes surfaces ; le sol, dégoûté des anciennes, leur refuse la sève qu’il prodigue aux nouvelles ; celles-ci étouffent promptement leurs devancières, et, après l’exploitation des futaies, les pins, les sapins, les mélèzes se substituent d’eux-mêmes aux chênes et aux hêtres, et réciproquement. Peut-être souhaiterait-on dans les semis, d’ailleurs fort bien entendus, d’arbres verts qui s’opèrent dans cette région un peu plus de variété et de choix des espèces. Le plateau produirait assurément sans effort les bois résineux les plus propres à la mâture et aux constructions navales. Parmi ces espèces privilégiées, il en est même qui affectionnent de préférence les sols les plus déshérités : tel est, pour les calcaires dénudés, le pin de la vallée du Danube, pinus nigra austriaca, dont les radicules traçantes pénètrent dans les moindres fissures des roches, ne laissent pas échapper un atome de terre végétale ou d’humidité, et élèvent sur les bases les plus ingrates des troncs droits, élastiques et résistans. Depuis que les Alpes-carniques sont percées de voies faciles, ce bois est devenu l’un des principaux alimens des exportations du port de Triesle, et le voisinage de la