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les atterrissemens ne sont pas partout à l’état de maturité, le marécage s’est maintenu dans les concavités des courbes que décrit la Seine devant Caudebec, devant La Mailleraie, à La Harelle, au sud de la presqu’île de Jumiéges, vis-à-vis Duclair, enfin sur plusieurs points des terres basses comprises entre Saint-Martin de Boscherville et Sahurs. La réunion des surfaces à assainir à divers degrés embrasse en dehors du Marais-Vernier au moins 2,000 hectares. Toutes ces cuvettes, d’où la maladie aiguë, la vieillesse prématurée et la mort se déversent sur le pays, doivent être ensevelies sous d’épaisses couches de terre salubre. Le moindre mal causé par les marais est l’appauvrissement du sol qu’ils occupent ; les souffrances, la débilitation, l’incapacité de travail, la dégradation physique et morale des populations qu’ils avoisinent, en sont un beaucoup plus grand, et leur influence extérieure est bien pire que leur non-valeur propre. S’il est un ordre de travaux que recommande son caractère d’utilité publique, c’est celui qui rend à des régions très peuplées la salubrité dont elles sont déshéritées. Vainement objecterait-on les difficultés qu’opposent à ces entreprises les aberrations de l’intérêt particulier ou des habitudes. Le droit de propriété n’est nulle part le droit d’empoisonner autrui, à plus forte raison quand la propriété privée, loin d’avoir aucun sacrifice à faire à la santé publique, doit, comme ici, profiter des mêmes travaux.

L’endiguement de la Seine ne rend pas à la pêche autant de services qu’à l’agriculture. On voit avec étonnement, dans les chroniques des abbayes de Saint-Wandrille et de Jumiéges, pour quelle part considérable le poisson pris sur les lieux entrait au moyen âge dans l’alimentation des moines et de leurs vassaux, et, pour remonter moins haut, Noël de La Morinière écrivait à la fin du siècle dernier, sur la pêche de la Basse-Seine, des notices bien peu applicables à celle d’aujourd’hui. Des bandes de marsouins, si nombreuses que les eaux en étaient assombries vers Peliville et Norville, faisaient sous ses yeux invasion dans la rivière. Or le marsouin, le plus vorace des poissons, ne se montre jamais que dans les eaux où l’affluence de ses congénères lui assure une proie abondante ; sa présence est toujours le présage d’une bonne pêche, et il se garde aujourd’hui, comme un gourmand de la table d’un amphitryon ruiné, de l’entrée d’une rivière où il risquerait de mourir de faim.

Naguère encore les eaux qui s’épandaient au loin entre le Marais-Vernier et l’embouchure du Bolbec attiraient le poisson par leur tranquillité, par la pâture que leur offraient des fonds herbeux, et les pêcheurs de Quillebeuf y tendaient rarement en vain leurs filets ; ceux de Caudebec et de Duclair exploitaient dans leur voisinage des relais et des lagunes que ravivaient tous les jours les courans de