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qui, comme cela est arrivé en 1792 à notre Brissot et à nos girondins, prennent pour une diversion habile et pour un coup de politique profonde le surcroît d’une guerre étrangère ajoutée à une révolution intérieure ; mais nous ne voulons pas aller plus loin dans ces tristes pronostics, nous ne voulons pas énumérer les calamités qui accompagneraient une guerre entre l’Angleterre et les États-Unis,. Le dernier mot de cette vaste perturbation doit être l’abolition de l’esclavage. Faudra-t-il encore une fois qu’un triomphe de la justice soit acheté au prix d’épouvantables malheurs ?

L’on n’avait pas prévu que l’attention serait si vite détournée par un accident si grave de l’entreprise de politique intérieure qui nous a été annoncée il y a quinze jours par la publication du mémoire de M. Fould sur notre situation financière et par la rentrée de cet homme politique au pouvoir. L’incident américain jette, il faut le reconnaître, un grand trouble dans cette région des intérêts où le programme et l’avènement de M. Fould commençaient à ranimer la confiance. Chose curieuse, le changement de système qui va être essayé dans nos finances, et dont l’influence doit naturellement réagir sur toutes les branches de la politique, a des adversaires dans les rangs de ceux qui ne peuvent pas être soupçonnés de nourrir à l’égard du gouvernement des sentimens de malveillance. Il est incontestable par exemple que les plans de M. Fould ne peuvent réussir que par l’inauguration d’un système de stricte économie ; néanmoins, parmi les organes de cette presse que l’on appelait autrefois officieuse et qui s’est, elle-même nommée indépendante et dévouée, on a laissé voir de maladroites répugnances pour les réductions de dépenses que l’équilibre des futurs budgets rendra nécessaires. Il y a lieu de craindre que les partisans des grandes dépenses militaires et navales ne s’emparent du conflit anglo-américain pour s’opposer aux économies. Les idées routinières sont si difficiles à déraciner que l’on entend déjà dire : Comment voulez-vous que la France réduise ses effectifs, si la guerre éclate entre l’Angleterre et les États-Unis ? — L’on ne s’aperçoit pas que la circonstance même que l’on invoque en faveur de la continuation de la politique dépensière fournit au contraire un argument positif à, la politique économe. Il doit y avoir un certain équilibre entre les armemens des grandes puissances, nous devons proportionner nos forces à celles de nos voisins ; mais qu’arrive-t-il lorsque ceux-ci ont une partie de leurs forces et de leurs arméniens employée dans des guerres, tandis que nous demeurons neutres et en paix ? La puissance d’agression de nos voisins à notre endroit n’est-elle pas affaiblie dans la proportion de ce qu’ils ont de ressources engagées dans leurs guerres ? Nous pouvons par conséquent opérer avec sécurité des retranchemens dans nos effectifs, devenus trop considérables, et maintenir à moins de frais, pour ce qui nous concerne, l’ancienne balance des forces. C’est surtout dans ces momens où l’on voit de grandes puissances à la veille de se plonger dans des luttes ruineuses que l’on devrait comprendre combien il importe à la France de rétablir l’aisance dans son système financier. Il n’y a pas pour un grand pays de