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Rome que la majorité a nommé, un homme de sa couleur politique, dans des vues et des intérêts politiques, et nullement un pape en vue des intérêts sacrés de la religion et de l’église ? » Excellent moyen pour ruiner le pontificat et préparer un schisme ! Quel serait le rôle des cardinaux étrangers dans cette combinaison ? Que deviendrait le sacré-collège dans l’inter-règne ? Serait-il à la fois souverain et chambre haute ?

« L’autre système ne me paraît pas soulever de graves objections. Tout consiste à nettement délimiter le champ des affaires temporelles. Il y a sans doute là des difficultés de détail à cause des matières mixtes,… et c’est à propos de ces matières que je disais qu’il faudrait faire pencher un peu la balance en faveur de la papauté. Les laïques devraient se montrer faciles, et je suis convaincu qu’aujourd’hui encore ils sont disposés à l’être. Une fois le champ des affaires temporelles déterminé, on peut sans inconvénient lui appliquer telle forme de gouvernement qu’on voudra. Votre excellence sait mieux que moi que pendant des siècles les papes ne se sont pas mêlés des affaires à Rome, et ils étaient cependant les maîtres du monde plus qu’ils ne le sont de nos jours et qu’ils ne le seront jamais. L’église gagnera en dignité et en influence morale plus qu’elle ne perdrait en pouvoir temporel, et rien n’empêchera d’ailleurs ceux des ecclésiastiques qui se sentent une vocation politique de la suivre comme individus. »


La révolution italienne, dans sa marche agitée jusqu’en 1848, a compté bien des hommes qui l’ont servie par l’action ou par l’esprit ; à côté d’eux était un observateur, un juge, un conseiller, cet émigré ambassadeur, et nul n’a saisi plus distinctement que lui dès la première heure la puissance de ce mouvement, nul ne l’a vu avec plus de clarté, nul ne l’a décrit d’un trait plus net et plus sympathique. Rossi est à cette époque comme une personnification de l’alliance de la France et de l’Italie, — d’une France libérale, modérée, pacifique, allant jusqu’à la garantie d’un développement régulier dans la limite des traités, mais n’allant pas au-delà, et d’une Italie s’essayant déjà à la vie, agitée, enivrée peut-être du sentiment de sa force morale. Dirai-je toute ma pensée ? L’ambassadeur, je crois, allait bien plus loin que la politique qu’il représentait. Ce n’est pas qu’il ne remplît fidèlement son devoir. « J’attendrai vos instructions avec une entière soumission d’esprit, » disait-il. Et en effet il ne manquait pas à son rôle : il conseillait, il modérait, il décourageait même parfois ; mais en même temps il était au fond plus Italien que cette politique. Il frémissait lui-même de cette exaspération des âmes qu’il était forcé de rappeler au respect des traités ; il entrevoyait un ordre de choses où un choc décisif éclaterait, qu’il vînt de l’Autriche ou de l’Italie, et où la France aurait un rôle plus actif. Il voyait surtout ce qu’on voyait peut-être moins que lui, que dans un pays comme l’Italie, où l’absolutisme vivait par la domination étrangère, travailler à un mouvement libéral, c’était préparer