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de prévenir ce qui arrive, qu’alors on avait devant soi des mois, qu’on n’avait plus que des jours, des heures peut-être ; que la révolution était commencée, qu’il ne s’agissait plus de la prévenir, mais de la gouverner, de la circonscrire ; que si on y apportait les mêmes lenteurs, de bénigne qu’elle était, elle s’envenimerait bientôt ; qu’ils devaient se persuader qu’en fait de révolutions nous en savions plus qu’eux, qu’ils devaient croire à des experts qui étaient en même temps leurs amis sincères et désintéressés ; qu’il fallait absolument faire sans le moindre délai deux choses : réaliser les promesses et fonder un gouvernement réel et solide… — Il entra pleinement dans ces idées, et il m’indiqua comme la mesure la plus urgente et la plus décisive l’appel des délégués des provinces. — Soit, lui dis-je, je crois en effet la mesure fort bonne, si elle est bien conduite, s’il y a en même temps un gouvernement actif qui sache rallier les forces du pays ; mais, encore une fois, la perte, d’un moment peut être irréparable. » Et le jour enfin où ces délégués des provinces se réunissaient à Rome, où la consulte, le cardinal Antonelli en tête, se rendait avec un appareil extraordinaire au Vatican pour entendre une allocution inquiète et agitée de Pie IX, Rossi, témoin de cette scène, disait en sortant à un de ses amis ce mot qui résumait tout un travail de décomposition : « Vous voyez cela ? Nous venons d’assister aux funérailles du pouvoir temporel des prêtres conduites par un cardinal avec l’absoute d’un pape ! »

Ainsi se déroulait cette situation à Rome et en Italie, hier encore pleine de promesses et d’espérances, aujourd’hui compromise, passant d’un adoucissement désirable du régime ecclésiastique à une dépossession temporelle de l’église, arrivant enfin, à travers la consulte, les manifestations patriotiques et la garde civique, à une véritable excitation nationale et au gouvernement constitutionnel. C’était toujours le même problème, mais aggravé de tous les périls que faisait naître une question de nationalité devenue la passion des esprits et de la difficulté d’organiser un régime constitutionnel dans les États-Romains. Le caractère des mouvemens italiens, ce caractère à la fois patriotique et libéral, éclatait partout, à Turin et à Naples comme à Florence et à Rome. Rossi sondait cette situation avec une indépendante clairvoyance, ayant, comme représentant de la politique française, à contenir l’esprit italien, à décourager l’instinct d’aventure, et en même temps ne dissimulant rien de la gravité croissante des événemens dans les états pontificaux. Ce qu’il en pensait, il le disait dans une lettre des premiers mois d’une année qui allait voir tous ces problèmes se résoudre en une lutte redoutable.