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mais si on vous dit que des faits il ne peut plus en éclater, qu’il n’y a pas ou qu’il n’y a plus d’élémens, qu’il n’y existe pas de matières auxquelles il suffit qu’un homme, le jour qu’il voudra, approche une mèche pour exciter un embrasement quelconque, utile, pernicieux, durable, passager, partiel, général, mais toujours embarrassant, n’en croyez rien… Si je vous avais dit, à côté de l’exemple de la Belgique, que j’espérais voir les Marches et les Légations former un pays se gouvernant par lui-même sous la suzeraineté du pape et en lui payant un tribut annuel garanti par la France, l’Angleterre et l’Autriche, qu’y aurait-il là de si étrange ? Ce serait peut-être le seul moyen raisonnable de faire cesser un état de choses qui peut devenir de jour en jour plus sérieux et plus dangereux… » Une fois devenu Français, Rossi ne changeait pas de sentimens, il restait toujours Italien, et lorsqu’en 1844, après vingt-huit ans d’exil, il remettait pour la première fois le pied au-delà des Alpes, lorsqu’il allait à Rome et était reçu parle pape Grégoire XVI lui-même, il devait, je pense, éprouver autre chose que le vain orgueil de l’homme revenant auprès de ceux qui l’ont proscrit sous la protection du nom d’un grand pays ; il devait sentir revivre en lui le vieil instinct de la patrie natale.

N’y a-t-il pas d’ailleurs une coïncidence curieuse dans ce retour de l’émigré carrarais au-delà des Alpes au moment où apparaissaient déjà tous les signes d’une résurrection morale qui devait le séduire, où les espérances italiennes semblaient se réveiller, excitées à la fois et dirigées par les écrits de Balbo, de Gioberti, de Massimo d’Azeglio ? Rossi ne redoutait pas les choses difficiles, disais-je, et assurément une des plus difficiles qu’il ait tentées dans sa vie fut de reparaître presque aussitôt en Italie et à Rome, non plus seulement en simple voyageur, mais comme envoyé extraordinaire d’abord, puis comme ambassadeur, dans les circonstances les plus délicates, à un moment où la question des jésuites s’agitait de nouveau en France. Qu’on le remarque bien en effet : son passé, sa qualité d’émigré, ses opinions, ses livres mis à l’index, son mariage même avec une protestante, tout lui était obstacle, et non-seulement il avait à vaincre les répugnances, les ombrages qu’il excitait par lui-même, mais il avait encore à négocier la chose la plus épineuse, à obtenir du saint-siège le sacrifice le plus pénible, la dispersion des maisons françaises de jésuites.

Ce fut d’abord une grande émotion à Rome, et on se demandait même s’il fallait recevoir ce carbonaro transformé en ambassadeur. On s’excitait à lui préparer des froissemens, des impossibilités, à le tenir exilé du monde romain, et au besoin à résister aux prétentions démesurées dont il ne pouvait manquer d’être le déplaisant interprête.