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Français ou Suisse, Rossi a été dans notre temps et dans son passage à travers des patries différentes un des types les plus curieux de ces émigrés italiens qui allaient autrefois porter leur intelligence, leur activité et souvent leurs passions hors de leur contrée natale. Ce n’est pas seulement dans l’église qu’ils se réfugiaient et qu’ils trouvaient une fortune nouvelle : il y en a eu dans tous les états, surtout en France, les uns proscrits réellement, les autres fugitifs volontaires poussés par l’esprit d’aventure, attirés par l’espoir des honneurs. C’étaient des politiques, des soldats, des prélats qui arrivaient quelquefois, par la faveur ou par leur habileté, à gouverner un pays. Ces émigrés d’autrefois n’avaient pas ou ne pouvaient avoir que sous une forme toute différente le sentiment que l’émigré moderne porte avec lui partout, ce sentiment de la patrie perdue qui est une sorte de nostalgie secrète même dans le succès et au sein des avantages d’une position élevée. En France comme en Suisse, Rossi, devenu un personnage engagé dans les luttes de la politique, était resté profondément Italien d’âme et de cœur, d’esprit et de caractère. Avec sa froideur dédaigneuse, il suivait d’un œil ardent, aussi ardent que sagace, tout ce qui se passait au-delà des Alpes, n’étant pas trop porté à espérer sans doute, s’abstenant des rêves, proportionnant ses vœux aux circonstances, mais ne cessant de chercher dans le mouvement des choses en Europe la possibilité d’un avenir moins sombre pour la péninsule, parlant de l’Italie en juge inexorablement clairvoyant, comme aussi en homme chez qui le patriote survit à travers toutes les transformations.

Dès 1832, sous le coup de la révolution de juillet, qui travaillait à se modérer à l’extérieur comme à l’intérieur, Rossi écrivait à M. Guizot cette lettre pleine de feu et de pressentimens qui peint l’homme et la situation : « Vous pensiez à moi, et vous ne vous trompiez pas en pensant que c’était de l’Italie que je m’occupais ; c’est ma pensée, ma pensée de tous les jours ; elle le sera tant que j’aurai un souffle de vie… Vous me demandez quels sont mes rêves et mes espérances raisonnables. Laissons les rêves de côté, tout le monde en fait ; y croire, c’est autre chose… Qu’est-ce que j’espère ? J’espère qu’on est bien convaincu que la révolution, dans le sens d’une profonde incompatibilité entre le système actuel du gouvernement romain et la, population, a pénétré jusque dans les entrailles du pays. Toute opinion contraire serait une pure illusion. Qu’on évacue demain, en laissant les choses à peu près comme elles sont, et on le verra après demain ; mais la chose ne se bornera plus au territoire des Légations et des Marches… Si on vous dit qu’en Italie il peut naître des faits qui ne seraient pas bien liés, qui n’amèneraient pas un résultat heureux, vous pouvez le croire, c’est peut-être la vérité ;