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« Miss Roxy et miss Ruey Toothacre étaient deux bonnes vieilles personnes du genre féminin et du nombre singulier, fort connues dans tous les alentours de Harpswell et de Middle-Bay, et telle était leur réputation qu’elle était arrivée jusqu’à la ville de Brunswick, à dix-huit milles de là. Elles appartenaient à cette classe de femmes qu’on pourrait appeler, dans le langage de l’Ancien Testament, « des femmes avisées, » c’est-à-dire douées d’une infinité de talens pratiques qui les rendaient indispensables dans toutes les familles à plusieurs milles à la ronde. Il était impossible d’imaginer quelque chose qu’elles ne sussent pas faire. Elles savaient faire les robes, mais elles savaient tout aussi bien faire les chemises, les gilets et les pantalons, couper les jaquettes d’enfans, tresser la paille, blanchir et monter les chapeaux, faire la cuisine et la lessive, repasser, raccommoder, plisser et tapisser : elles savaient soigner toute sorte de maladies, et à défaut d’un docteur, qui souvent demeurait à une distance de plusieurs milles, on les regardait comme des oracles infaillibles en médecine.

« Ces personnes universellement utiles reçoivent chez nous le titre de tantes par une sorte de consentement unanime qui atteste les liens étroits qui les unissent à toute la famille humaine. Elles ne sont les tantes de personne en particulier, elles sont les tantes du genre humain. L’idée de restreindre leurs services à une seule famille jetterait la désolation dans une commune tout entière. Personne ne pousserait l’indélicatesse jusqu’à chercher à s’approprier leurs bons offices plus d’une semaine, ou d’une quinzaine tout au plus ; mais notre factotum sait mieux que qui que ce soit combien il serait absurde de

Ne faire qu’une part du lot du genre humain.


Tous les mouvemens, toutes les allures de miss Roxy, et jusqu’au ton de sa voix et à sa manière de parler, attestaient un esprit vigoureux, précis et décidé. Elle avait des idées arrêtées sur toute chose, et prenait en général un ton d’autorité. Et qui aurait su quelque chose sinon elle ? N’était-elle pas une sorte de prêtresse et de sibylle versée dans toutes les profondeurs et tous les mystères de cette vie ? Combien de naissances, de mariages et de morts avaient eu lieu sous sa direction ! Au milieu de la joie et des larmes, n’était-elle pas la pensée dirigeante, invoquée et consultée par tous ? et ses paroles n’étaient-elles pas la loi et la coutume ? La sœur cadette, miss Ruey, était une petite personne douce et bonne, de façons affectueuses, courte et grassouillette, naturellement tournée à la sentimentalité et à l’élégie, et qui accumulait au fond de son sac à ouvrage des pièces de vers découpées dans le Miroir du chrétien. Elle tournait comme un humble satellite autour de son aînée, qui la regardait volontiers comme un petit être frivole et inconséquent, quoique la même neige fût dissimulée sous leurs tours de tête, d’un blond aventureux. »


N’oublions pas non plus le personnage important de la paroisse, le ministre dont les sermons fournissent chaque dimanche un nouveau sujet de conversation, dont le célibat obstiné cause un étonnement