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temple à la Fortune des femmes, la Fortune mulièbre, et que le culte y fût célébré au nom de l’état, afin que, s’y rassemblant chaque année le jour où elles avaient obtenu le départ de Coriolan, elles pussent y offrir des sacrifices et prier seules pour le salut de la république. Valeria et la mère de Coriolan se chargèrent des frais.

Un temple fondé par des femmes, un culte confié non à un corps de prêtresses, comme les vestales, mais à des matrones romaines, étaient quelque chose de très nouveau. Une telle innovation montre jusqu’où allait pour elles le respect des Romains, et ce qu’était à Rome, malgré l’infériorité de leur condition légale, la considération morale dont on les entourait[1]. Valeria présida la première au sacrifice offert pour le peuple romain sur un autel qu’on avait élevé avant que le temple fût construit. Le temple fut consacré l’année suivante par le consul Virginius. Les matrones romaines instituèrent la coutume que la statue de la déesse ne serait jamais touchée par des femmes remariées, que le droit de poser des couronnes sur la tête de cette statue et l’honneur de desservir le temple appartiendraient aux nouvelles épouses. Il y avait chez les anciens Romains contre les secondes noces une prévention dont l’église romaine a hérité. On rapportait que, le sénat ayant voulu que la statue fût exécutée à ses frais et les matrones en ayant fait faire aux leurs une seconde, celle-ci, au moment où elles furent toutes deux consacrées, prononça distinctement ces mots : « Femmes romaines, vous m’avez dédiée selon les rites ; » miracle qui semble avoir été imaginé pour confondre ceux qu’une statue consacrée par des femmes scandalisait. Depuis ce jour, bien des images de madones ont parlé. Ce temple était à quatre milles de Rome, sur la voie Latine, à l’endroit où Coriolan avait été désarmé par sa mère.

Les patriciens, humiliés par la peur que leur avilit faite Coriolan, s’en vengèrent sur un autre patricien, qui se fit craindre d’eux, non comme appui des Volsques, mais comme auxiliaire des plébéiens. A. l’exil de Coriolan, décrété par les tribuns, ils répondirent par la mort de Spurius Cassius.

Spurius Cassius s’était signalé dans les premières campagnes de la république ; il avait fait avec les Latins un traité important, car il assurait à Rome l’alliance des populations latines contre les AEques et les Volsques, infatigables à la combattre. C’était la pensée qui avait fait élever par Servius Tullius le temple de Diane sur le mont Aventin ; Rome s’appuyait sur le Latium contre les nations sabelliques, sur la plaine contre la montagne. Ce traité devait être maintenu

  1. Valère Maxime prétend que le sénat ordonna aux hommes de céder dans la rue le pas aux femmes, ajouta à leurs parures des ornemens nouveaux, et leur permit de porter un vêtement de pourpre et des galons d’or. Tout cela est une exagération évidente, mais atteste le sentiment de respect pour les femmes que j’ai signalé.