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brillant fait d’armes avait valu à Marcius le surnom de Coriolan, sous lequel il est connu de la postérité.

Rome était livrée alors à des agitations violentes ; d’orageux débats partageaient le sénat, où l’on élevait si haut la voix que le peuple l’entendait du Forum. Les consuls sortaient de la curie accompagnés d’un bataillon de patriciens pour haranguer ; les plébéiens et les tribuns les repoussaient du Forum, qu’ils disaient leur appartenir. Par représailles, les tribuns convoquaient l’assemblée populaire du haut du Vulcanal, qui dominait le Comitium, et d’où les consuls avaient coutume de s’adresser aux patriciens. Coriolan ne tarda pas à se faire remarquer dans ces luttes par son dédain et sa colère contre les plébéiens et contre le tribunat[1]). La culture des terres ayant été interrompue par la retraite des plébéiens sur le Mont-Sacré à l’époque de l’année où il aurait fallu les ensemencer, les édiles envoyèrent acheter du blé en Étrurie, dans le pays envahi depuis par les Marais-Pontins, à Cumes, et jusqu’en Sicile. Coriolan proposa de n’en faire la distribution aux plébéiens que s’ils abandonnaient leur conquête du Mont-Sacré, le tribunat. Les tribuns, qui, assis sur leurs tabourets, à la porte de la curie, savaient tout ce qui se passait dans les délibérations du sénat, quittent leurs places et montent à leur tribune, qui était à côté de la curie, pour faire connaître aux plébéiens rassemblés dans le Forum l’odieuse proposition de Coriolan. Quand il sortit, ceux-ci voulaient le mettre en pièces. On se précipita sur lui avec fureur. Les tribuns, dépassant leur pouvoir, le citèrent en jugement. Le tribun Sicinius, un des chefs de la retraite sur le Mont-Sacré, proposa de précipiter Coriolan de la roche Tarpéienne. Coriolan, debout en avant de la curie, entouré de jeunes patriciens et de nombreux cliens, défiait la multitude. Les tribuns ordonnent de le saisir ; les patriciens accourent pour le défendre, repoussent les tribuns et frappent les édiles. Cependant l’autorité des consuls intervenant calme la foule pour ce jour-là.

Le lendemain, les tribuns convoquent les citoyens et somment Coriolan de paraître devant leur tribune, dont pour la première fois ils font un tribunal. Coriolan se présente en effet devant eux, mais

  1. Selon Plutarque et Denys d’Halicarnasse, un des motifs de l’irritation de Coriolan aurait été l’échec par lui subi dans sa candidature pour le consulat ; mais, comme les consuls étaient nommés par les centuries et non par les tribus, on ne voit pas comment il eût pu s’en prendre de cet échec aux plébéiens et aux tribuns ; ce qu’il détestait le plus, ce n’était pas la constitution de Servius, mais les lois du Mont-Sacré ; ce n’était pas le Champ de Mars, mais le Forum.