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affaires, rassurez-vous, on peut les traiter sans bruit, ou, s’il vous faut encore en entendre parler, ce ne sera qu’après coup, quand tout sera consommé, sorte de bruit posthume qui n’a rien d’effrayant. Vous serez donc contens, vous aurez le repos ! mais la vie, qu’en aurez-vous fait ?… Aussi, lorsque l’an dernier, presque à la date où nous sommes, on vit paraître un décret qui, par des déclarations nouvelles et par un commencement d’exécution, si modeste qu’il fût, confirmait des promesses qu’on pouvait croire oubliées, bien des gens s’étonnèrent et ne virent dans cet acte qu’une sorte d’inconséquence, un coup de tête irréfléchi ; mais ceux qui sont convaincus que, sans la vie publique et ses hasards, il n’est pour un état, si prospère et si vaillant qu’il soit, ni prospérité persistante, ni durable fortune, et que la vaillance elle-même, sur le sol le plus riche en courage, ne survivrait pas longtemps au sommeil des esprits, ceux-là n’attribuèrent le décret qu’à un intelligent instinct d’avenir et de conservation, et j’ajoute qu’aujourd’hui même, malgré bien des raisons qui pourraient ébranler leur foi, ils ne supposent pas le pouvoir assez mal inspiré pour différer longtemps un plus sérieux accomplissement de ses promesses.

Quoi qu’il advienne de cet espoir et de mes prévisions optimistes, comme je ne croirai jamais que ce pays si jeune et si plein d’avenir ait dit à la vie publique un éternel adieu, comme j’ai la certitude qu’il la verra renaître, sous une forme ou sous une autre, un peu plus tôt, un peu plus tard, je ne sais pas un meilleur service à lui rendre que de lui donner une juste idée, de lui parler sérieusement des essais qu’il en a déjà faits. Le plus habile dénigrement, le dédain le mieux calculé ne sauraient prévaloir contre la loyauté d’un récit fidèle et sincère. C’est là, je le dis encore en terminant, l’utilité pratique des Mémoires de M. Guizot. Je suis loin, je le sens, d’avoir atteint mon but. Je n’ai donné qu’une imparfaite idée de cette époque, de cette politique que je m’étais promis de peindre ; mais si j’inspire quelque désir, je ne dis pas de lire, d’étudier ces précieux mémoires, j’aurai rempli ma véritable tâche. Un seul regret me restera, celui de n’avoir dit que la moitié de ma pensée sur les perfections de l’œuvre littéraire. Je n’en pourrais parler à mon aise que si j’avais pour l’auteur une moins sûre et moins vieille amitié. Aussi je porte presque envie à ceux qui sur le fond ont des querelles à lui faire, car ils peuvent, sans embarras, se dédommager sur la forme, et donner cours à leurs éloges d’autant plus librement que la cause n’en saurait être l’aveuglement de l’amitié.


L. VITET.