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d’une des portions les plus notables de la majorité parlementaire, et l’opinion s’établissait que l’association de ces deux éloquences, se complétant l’une par l’autre et se servant mutuellement de lest et de contre-poids, constituait une force en quelque sorte à toute épreuve.

Ainsi ce cabinet du 11 octobre, si péniblement constitué et menacé d’abord de tant d’orages, avait triomphé de tout. Était-ce un bien que cette victoire si prompte ? Était-elle sans dangers ? N’eût-il pas mieux valu des succès plus pénibles, des perspectives moins riantes ? Qu’on y regarde bien, cette première année d’efforts heureux et d’union sans nuages, ce début séduisant, c’est là qu’est l’origine de la plupart des fautes qui, jointes à des hasards dont personne n’est le maître, ont déterminé cette soudaine chute dont l’exemple doit rendre modeste tout pouvoir qui se croit affermi.

C’est en effet vers cette époque et au milieu de cette veine inespérée du cabinet du 11 octobre que les amis du régime nouveau, quelle que fût leur nuance, commencèrent à s’imaginer qu’après de telles épreuves l’établissement de juillet était désormais capable de résister à tous les chocs, que c’était un gouvernement fondé, qu’il y avait bien encore à le perfectionner, selon le goût, selon la convenance des uns, des autres, à qui mieux mieux, mais que songer à le consolider, à le fortifier et faire à ce sujet le moindre sacrifice, le moindre effort commun, c’était un soin superflu.

Que cette erreur ait survécu, qu’elle ait eu jusqu’au bout sur notre destinée une maligne influence, je dis que cela saute aux yeux. Qui ne sait que chez nous ce qui tue la sagesse, c’est la sécurité, que nous ne sommes raisonnables qu’à la condition d’être inquiets, et que pour rendre impossible la catastrophe de février il n’eût fallu qu’une chose, la supposer possible ? S’ils avaient seulement sondé le pied de l’arbre, ceux qui croyaient à ses racines et qui ne voulaient pas sa chute, l’auraient-ils secoué si fort ? Et encore ils avaient cette excuse que depuis dix-huit ans on l’ébranlait en vain, tandis qu’au bout de trois années, pour quelques succès éphémères, pour quelques défilés heureusement franchis, s’imaginer qu’on a partie gagnée, croire qu’on est sur le roc, qu’on peut tout se permettre, qu’on peut changer son président, prendre à l’essai tous les six mois quelque nouvelle illustre épée, ou bien encore rêver certain plan de finances et le lancer comme une bombe devant ses collègues étonnés, se passer en un mot toutes ses fantaisies, n’était-ce pas de l’imprévoyance plus grande encore, s’il est possible, bien que suivie d’un moins prompt châtiment ? On n’avait triomphé que par la discipline, l’union, la bonne entente ; , il fallait continuer. De toutes les victoires qu’on pouvait se promettre, la