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plaisait pas à tout le monde : d’abord, cela va sans dire, à ceux qui niaient la maladie, puis à ceux qui, tout en y croyant, ne comprenaient pour la guérir d’autre moyen que de n’en pas parler. Ils détestaient le désordre, avaient horreur de l’anarchie, et, s’ils la rencontraient à face découverte, la combattaient résolument ; mais la prévoir de loin et si longtemps d’avance, la démasquer quand elle se déguisait, ne pas se contenter d’attaquer ses excès, vouloir combattre son principe, et prétendre appliquer le remède, non pas à la surface, au fond même de la plaie, n’était-ce pas une ambition bien grande, se donner bien des soins, irriter bien des gens ? Voilà le grand secret. Il n’y avait, à coup sûr, dans la partie du nouveau cabinet qui n’acceptait qu’à contre-cœur ce nouvel auxiliaire, aucun mauvais vouloir contre M. Guizot ; mais de la meilleure foi du monde on y croyait qu’un tel épouvantail rendrait la lutte plus acharnée, la situation plus périlleuse et le succès plus douteux.

Il n’en fut rien, tout au contraire. Un an s’écoulait à peine, qu’une sorte de changement à vue semblait s’être opéré dans les affaires de la monarchie. Toutes les difficultés extérieures et intérieures, qui, avant le 11 octobre, paraissaient conjurées contre elle et prêtes à l’accabler, s’étaient comme évanouies ; Anvers était pris, l’insurrection de l’ouest éteinte, la démagogie silencieuse et découragée ; une session législative active et bien conduite donnait des résultats féconds ; des lois utiles étaient votées ; les finances devenaient prospères, et la majorité de la chambre élective, incertaine au début, se montrait vers la fin si décidée et si nombreuse, que deux budgets pouvaient être votés coup sur coup, à quelques jours de distance, sans effort et presque sans discussion.

Non-seulement l’adjonction du ministre de l’instruction publique n’avait rien compromis, mais l’efficacité et l’à-propos de sa présence s’étaient fait clairement sentir. Le cabinet profitait par reflet de l’honneur que lui avait personnellement acquis une habile organisation de l’instruction primaire, et dans la politique ; loin d’envenimer les querelles, il les avait plutôt en quelque sorte dominées. Les esprits les plus prévenus subissaient l’influence de ce noble langage s’élevant et entraînant l’assemblée au-dessus de la vulgarité du débat, et devenant pour tous comme un haut enseignement d’esprit constitutionnel et de vrai libéralisme. Ceux même qui dans les rangs de la majorité se laissaient plus volontiers charmer par une autre éloquence plus souple, plus abondante, moins dogmatique et moins sévère, n’en reconnaissaient pas moins l’incontestable utilité pour la cause commune de ces accens si graves et tombant de si haut. Ce n’était donc plus seulement d’un groupe intime et un peu raffiné que M. Guizot se trouvait chef, c’était d’un puissant corps d’armée,