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peu réelles que ces craintes qu’ils ne partageaient pas. Si les uns se croyaient revenus à la France de 1792, les autres pensaient être arrivés à l’Angleterre de 1688.

On croit peut-être que M. Guizot s’apprête à me répondre ; c’est lui-même au contraire qui me fait souvenir d’une espérance, hélas ! prématurée, qui soutenait alors son confiant courage. C’est lui qui nous en parle, ou pour mieux dire qui s’en accuse avec une franchise pleine d’enseignement. Il est des vérités que le temps seul révèle aux plus habiles ; mais ce qu’il n’apprend pas à tous, c’est d’en faire un profitable aveu. Qui voudra maintenant, après l’arrêt d’un tel juge, demander à l’histoire ce don de prophétie que notre temps s’amuse à lui prêter ? De tous les nombreux moyens de se tromper en politique, en est-il un plus sûr que celui-là ? Ce merveilleux miroir où l’humanité se reflète, toujours la même et toujours dissemblable, sans que jamais la même image s’y reproduise exactement deux fois, nous est-il donc donné pour que notre paresse y lise l’avenir sur tous les traits du passé ? Est-ce un recueil de pronostics, une sorte de Nostradamus qui nous dispense de penser, de regarder, de juger par nous-mêmes ? Nos politiques d’autrefois, qu’auraient-ils dit de ces chimères ? Richelieu, Mazarin par exemple, si parfois ils consultaient l’histoire, c’était pour se récréer et se meubler l’esprit, pour puiser à cette source vive les vérités, les leçons générales dont les plus grands génies ont eux-mêmes besoin ; mais des règles de conduite, des raisons d’espérer ou de craindre, de suivre ou de changer leurs plans, ce n’était pas dans les siècles passés, c’était autour d’eux-mêmes qu’ils entendaient les chercher. Ils avaient trop affaire à observer leur propre temps, à épier, à saisir l’occasion, pour regarder tant en arrière. Il est vrai que pour eux la tentation n’existait pas. La philosophie de l’histoire était encore à naître ; le système n’était pas inventé, tandis qu’en 1830 il était dans sa fleur. Aucun mécompte éclatant n’en avait dégoûté personne, et tout le monde en usait largement.

Ce n’étaient pas seulement certains partis, certaines classes qui croyaient à ce retour fatal de nos plus mauvais jours : c’était vraiment tout le pays. L’effroi, sous des formes diverses, était partout le même. Les esprits les plus froids, les têtes les moins vives, les plus pacifiques des hommes devenaient fougueux par frayeur, et voulaient, eux aussi, qu’on marchât sur le Rhin, pour en finir plus tôt, puisque le choc était inévitable. Pour moi, ce qui donne encore mieux la mesure de l’état des esprits dans ces premiers momens, c’est l’attitude et le langage du parti que la chute du trône avait blessé le plus au cœur. D’où vient qu’il n’écouta d’abord ni ses regrets ni sa colère, et que ses chefs les plus illustres, que dis-je ? les