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elles les discutent, ce qui est un bon signe, car ces discussions, malgré l’horreur du sujet, attestent que c’est en connaissance de cause, par conséquent de bon gré et pour n’y plus revenir, que ces hommes abandonnent leurs hideuses pratiques. En général, les insulaires vitiens se sont montrés, dans leurs relations avec les étrangers, supérieurs à ce que l’on croyait pouvoir attendre d’eux. Les Européens n’abordaient qu’avec, répugnance cette terre farouche, si prodigue de sang humain, et ils ont été surpris d’y trouver des sociétés pourvues d’une certaine organisation, des gens industrieux, dociles aux enseignemens européens, prompts à s’approprier quelques-unes des améliorations morales de la civilisation ; ce fait ressort des observations des récens voyageurs, et particulièrement de celles de M. Seeman. Celui-ci n’accorde que des éloges à la bienveillance et aux bons procédés que lui témoignaient les indigènes pendant sa présence au milieu d’eux, aux regrets qu’ils manifestèrent à son départ. Il vante leurs qualités sociables, leurs affections de famille, affirme qu’en Europe nous ne les connaissons que par leurs côtés pittoresques et terribles, que sous ces sauvages il y a des hommes, et qu’ils peuvent être relevés.

C’est là une généreuse espérance. Elle trouve encore une confirmation dans le respect de ce peuple sauvage pour la parole et le raisonnement ; nous avons vu les assemblées pacifiques où il sait discuter ses intérêts sans que le casse-tête intervienne comme réplique dans les argumens. Ce maniement des idées, cet usage intelligent de la parole ne sont-ils pas, entre tous, le signe providentiel qui distingue l’être humain des créatures inférieures, et n’attestent-ils pas que, grâce au zèle des hommes qui se sont voués à leur amélioration, quelques débris de ces sauvages pourraient se former en sociétés régulières et tenir quelque jour une place honorable à côté de nous ? Pour que ces espérances pussent être réalisées, il faudrait que ces hommes, qui ne font que commencer à se prêter aux enseignemens de la morale et de la religion, fussent laissés longtemps encore sous la direction prudente des maîtres qu’ils ont acceptés. Par malheur, le colon anglais peut venir, et nous ne savons que trop, par l’exemple de la Nouvelle-Zélande et des autres terres océaniennes, qu’au nom de sa supériorité il disputera à l’indigène le champ où celui-ci cultive paisiblement, en vertu de la transmission héréditaire, ses ignames et son taro ; alors se présenteraient aussi les iniquités, les spoliations légales, la lutte du fort contre le faible, les inimitiés inexpiables. Dans un tel tumulte, la tâche des missionnaires deviendrait impraticable ; ils seraient frappés d’impuissance par leurs compatriotes mêmes : au lieu de la civilisation graduelle, lentement mûrie, qu’ils eussent développée