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pour lui les génies. Le consul prit la parole, engagea le jeune homme à faire au milieu de son peuple de meilleures actions que ses ancêtres, à chercher la gloire dans les chemins de la civilisation, qui lui étaient ouverts. La cérémonie se termina par des chants nationaux.

Cette scène avait été concertée à l’avance entre les Européens et le chef, de plus en plus docile à leurs conseils. Elle avait une grande importance, puisqu’elle marquait la fin d’une des plus sanglantes coutumes, et qu’elle apportait dans cette occasion le salut à cinq cents victimes. La foule ne l’accueillit pas mal ; elle était très émue. Le vieux Kuruduadua lui-même ne pouvait s’empêcher de verser des larmes, et il racontait que, quand il avait pris le vêtement viril, bien du sang avait coulé.

De Nawua, qui est sur le bord de la mer et à l’extrémité d’un delta dont les terres d’alluvion sont, il paraît, très favorables à la culture du coton, les Européens purent remonter vers l’intérieur et explorer le Woma, pic dont la hauteur atteint près de cinq mille pieds anglais, et qui est un des points culminans des montagnes de l’archipel. Aucun Européen n’en avait encore fait l’ascension. Tous les Anglais qui se trouvaient en ce moment dans cette partie de l’île prirent part à l’expédition. C’était, outre MM. Seeman et Pritchard, le colonel Smythe, envoyé par le gouvernement : pour étudier l’état politique et les ressources de l’archipel, et le missionnaire, M. Waterhouse. Kuruduadua en personne fit à l’expédition l’honneur de l’accompagner, dans une partie du trajet, jusqu’à sa capitale Namusi. Il emmenait avec lui un grand nombre de serviteurs, et de plus un personnage qui s’est fait aux îles Viti une singulière destinée. C’est un aventurier, nommé Henri Danford, que des transactions peu honorables ont fait surnommer par ses compatriotes Harry le Juif. Après avoir passé sa jeunesse à Londres, ne pouvant se faire ni au commerce ni au métier de matelot ; il s’arrêta, il y a une quinzaine d’années, aux îles Tonga, où il passa une année dans la plus profonde misère, durant une famine qui désolait cet archipel. Il parvint à gagner Rewa, et essaya d’y créer un établissement de pêche d’holothuries, de concert avec un autre aventurier ; mais il ne s’entendit pas avec cet associé et mécontenta les indigènes, qui incendièrent son établissement. Il était de nouveau sans ressources ; alors il conçut le projet d’aller trouver Kuruduadua. Ce chef ne tarda pas à le prendre en faveur à cause de la vivacité de son esprit et parce qu’il lui faisait raconter les histoires des états et des souverains de l’Europe. Danford réussit aussi à se concilier les indigènes par ses mérites de conteur. Ces sauvages ont une imagination vive et une grande curiosité des récits merveilleux. Eux-mêmes racontent des