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les ministres wesleyens parvinrent à établir d’une façon solide leur influence sur une grande étendue de l’archipel. On porte à plus de trente mille le nombre d’indigènes qu’ils ont faits chrétiens, et il est certain qu’ils ont en grande partie réussi tout récemment à supprimer les repas de chair humaine. On sait quelle est l’austérité de leur enseignement religieux ; il consiste dans les lectures pieuses, les cantiques, les prédications et les prières ; il ne comporte ni fêtes, ni cérémonies, et s’adresse à la raison plus qu’à l’imagination et au cœur. Les sauvages l’ont cependant assez bien accueilli ; beaucoup d’entre eux possèdent des bibles traduites dans leurs dialectes, et que quelques-uns savent lire. Quand la cloche de l’office les appelle, ils se rendent au temple et écoutent attentivement le teacher ; c’est le nom que les missionnaires donnent à des indigènes plus anciennement convertis, dont ils se servent comme d’auxiliaires pour transmettre l’enseignement aux nouveaux néophytes. Généralement ces disciples privilégiés croient bien faire en exagérant encore la rigueur et l’austérité de leurs maîtres : le ton monotone de leur parole, l’immobilité de leur regard, la raideur de leurs gestes, jettent comme une atmosphère de froideur et de tristesse sur le public agenouillé qui s’efforce, autour d’eux, de se conformer à leurs préceptes.

C’est une preuve bien manifeste de la flexibilité du caractère de ces sauvages que l’on ait pu réunir, parmi des hommes longtemps indisciplinés et turbulens, des auditeurs sérieux et graves pour des sermons bibliques, si étrangers à leur histoire, à leurs croyances et sans doute inintelligibles pour beaucoup. Une amélioration réelle s’accomplit-elle dans leur esprit, ou bien sont-ils simplement frappés de la nouveauté du spectacle, et ne risquent-ils pas d’échanger, comme tant d’autres peuples océaniens, leurs vices franchement sauvages contre les vices souvent plus méprisables d’une civilisation avortée ? Rien de semblable n’est à craindre tant qu’ils seront sous la direction des missionnaires ; mais il est à redouter pour eux qu’une foule envahissante d’aventuriers, de colons, d’industriels, ne vienne leur apporter les corruptions sous lesquelles dépérissent tant d’autres sauvages. Les missionnaires accomplissent en ce moment au milieu d’eux une œuvre méritante et salutaire ; mais ils auront besoin, pour la poursuivre et la mener à bien, de beaucoup de fermeté et de persévérance, si l’archipel est destiné à être envahi par un flot d’immigrans avides et peu scrupuleux à l’exemple des autres possessions anglaises de l’Océanie.

C’est en l’année 1643 que l’existence du groupe Viti a été pour la première fois signalée. Tasman, un des plus illustres explorateurs de l’Océanie, se trouva engagé avec ses deux vaisseaux dans ce labyrinthe