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se lève, égale, par la diversité des talens, l’énergie des convictions et la magnificence du style, à celle qui couvrit jadis l’agora grecque et le forum romain. Depuis longtemps, il semblait que la liberté de discussion, la pratique des affaires, l’importance des intérêts engagés et la grandeur des récompenses offertes dussent provoquer sa croissance ; mais elle avortait, encroûtée dans la pédanterie théologique, ou restreinte dans les préoccupations locales, et le secret des séances parlementaires lui ôtait la moitié de sa force en lui ôtant la plénitude du jour. Voici qu’enfin la lumière se fait ; une publicité d’abord incomplète, puis entière, donne au parlement la nation pour auditoire. Le discours s’élève et s’élargit en même temps que le public se dégrossit et s’accroît. L’art classique, devenu parfait, fournit la méthode et les développemens. La culture moderne fait entrer dans le raisonnement technique la liberté des entretiens et l’ampleur des idées générales. Au lieu d’argumenter, ils conversent ; de procureurs ils deviennent orateurs. Avec Addison, avec Steele et Swift, le goût et le génie font irruption dans la polémique. Voltaire ne sait « si les harangues méditées qu’on prononçait autrefois dans Athènes et dans Rome l’emportent sur les discours non préparés du chevalier Windham, de lord Carteret » et de leurs rivaux. Enfin le discours achève de percer la sécheresse des questions spéciales et la froideur de l’action compassée[1] qui l’ont comprimé si longtemps ; il déploie audacieusement et irrégulièrement sa force et son luxe, et l’on voit paraître, en face des jolis abbés de salon qui arrangent en France des complimens d’académie, la mâle éloquence de Junius, de lord Chatam, de Fox, de Pitt, de Burke et de Sheridan.

Un souffle extraordinaire, une sorte de frémissement de volonté tendue, court à travers toutes les harangues. Ce sont des hommes qui parlent, et ils parlent comme s’ils combattaient. Ni ménagemens, ni politesse, ni retenue. Ils sont déchaînés, ils se livrent, ils se lancent, et s’ils se contiennent, ce n’est que pour frapper plus impitoyablement et plus fort. Lorsque Pitt remplit pour la première fois la chambre des communes de sa voix vibrante, il avait déjà son indomptable audace. En vain Walpole essaya « de le museler, » puis de l’accabler ; son sarcasme lui fut renvoyé avec une prodigalité d’outrages, et le tout-puissant ministre plia, souffleté sous la vérité de la poignante insulte que le jeune homme lui infligeait. Une hauteur d’orgueil qui ne fut surpassée que par celle de son fils, une arrogance qui réduisait ses collègues à l’état de subalternes, un patriotisme romain qui réclamait pour l’Angleterre la tyrannie universelle, une ambition, qui prodiguait l’argent et les hommes, communiquait

  1. Addison.