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société n’est qu’un contrat ultérieur entre de petits souverains préétablis, qui, ayant traité et transigé entre eux, « conviennent de former une communauté pour vivre avec sûreté, paix et bien-être les uns avec les autres, pour jouir avec sécurité de leurs biens, et pour être mieux protégés contre ceux qui ne sont pas de leur ligue. Ceux qui sont unis en un seul corps, qui ont une loi commune établie et une judicature à laquelle ils puissent en appeler, et en outre une autorité pour punir les délinquans, sont en société civile les uns avec les autres. » Des arbitres, des règles d’arbitrage, voilà tout ce que leur fédération peut leur imposer. Ce sont des hommes libres qui, ayant traité entre eux, sont encore libres. Leur société ne fonde pas leurs droits, elle les garantit. Et les actes officiels soutiennent ici la théorie abstraite. Quand le parlement déclare le trône vacant, son premier argument est que le roi a violé « le contrat originel » par lequel il était roi. Quand les communes intentent un procès à Sacheverell, c’est pour soutenir publiquement[1] que « la constitution d’Angleterre est fondée sur un contrat, et que les sujets de ce royaume ont, dans leurs diverses capacités publiques et privées, un titre aussi légal à la possession des droits qui leur sont reconnus par la loi que le prince à la possession de sa couronne. » Quand lord Chatam défend l’élection de Wilkes, c’est en établissant que « les droits des moindres sujets comme des plus grands reposent sur la même base, l’inviolabilité de la loi commune, et que si le peuple perd ses droits, ceux de la pairie deviendront bientôt insignifians. » Ce n’est point une supposition, ni une philosophie qui les fonde, c’est un acte et un fait, j’entends la grande charte, la pétition des droits, l’acte de l’habeas corpus, et tout le corps des lois votées en parlement. Ces droits sont là, inscrits sur des parchemins, consacrés dans des archives, signés, scellés, authentiques ; celui du fermier et celui du prince sont couchés sur la même page, de la même encre, par le même scribe ; tous deux traitent de pair sur ce vélin ; la main gantée y touche la main calleuse. Ils ont beau être inégaux, ils ne le sont que par accord réciproque ; le paysan est aussi maître dans sa chaumière, avec son pain de seigle et ses neuf shillings par semaine[2], que le duc de Marlborough dans son Blenheim-Castle, avec ses 90,000 livres sterling par an de places et de pensions.

Voilà des hommes debout et prêts à se défendre. Suivez ce sentiment du droit dans le détail de la vie politique ; la force du tempérament brutal et des passions concentrées ou sauvages vient lui

  1. Discours du général Stanhope, un des managers.
  2. De Foe.