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incurable les retient la bêche à la main dans des tranchées où personne ne passera. Ils n’entendent ni leurs textes ni leurs formules. Ils sont impuissans dans la critique et la philosophie. Ils traitent les figures poétiques des Écritures, les audaces de style, les à peu près de l’improvisation, les émotions hébraïques et mystiques, les subtilités et les abstractions de la métaphysique alexandrine avec une précision de juristes et de psychologues. Ils veulent absolument faire de l’Évangile un code exact de prescriptions et de définitions combinées par des législateurs en parlement. Ouvrez le premier venu, un des plus anciens, John Hales (1634). Il commente un passage de saint Matthieu où il est question d’une chose défendue le jour du sabbat. Quelle était cette chose ? « Était-ce d’aller dans le blé ? ou d’en éplucher les épis ? ou d’en manger ? » Là-dessus les divisions et les argumentations pleuvent par myriades. Prenez les plus célèbres. Sherlock, appliquant la psychologie nouvelle, invente une explication de la Trinité, et suppose trois âmes divines, chacune d’elles ayant conscience de ce qui se passe dans les deux autres. Stillingfleet réfute Locke, qui pensait que l’âme, à la résurrection, quoique ayant un corps, n’aura peut-être pas précisément le corps dans lequel elle aura vécu. Allez jusqu’au plus illustre, au savant Clarke, mathématicien, philosophe, érudit, théologien : il s’occupe à refaire l’arianisme. Le grand Newton lui-même commente l’Apocalypse et prouve que le pape est l’Antéchrist. Ils ont beau avoir du génie ; dès qu’ils touchent à la religion, ils redeviennent surannés, bornés ; ils n’avancent pas, ils sont aheurtés, et obstinément choquent leur tête à la même place. Génération après génération, ils viennent s’enterrer dans le trou héréditaire avec une patience et une conscience anglaises, pendant qu’une lieue plus loin l’ennemi défile : cependant on consulte dans le trou ; on le fait carré, puis rond, on le revêt de pierres, puis de briques, et on s’étonne de voir que malgré tous les expédiens l’ennemi peut avancer toujours. J’ai lu une foule de ces traités, et je n’en ai pas retiré une idée. On s’afflige de voir tant de travail perdu ; on s’étonne que pendant tant de générations des hommes si vertueux, si zélés, si réfléchis, si loyaux, si bien munis de lectures, si bien exercés par la discussion, ne soient parvenus qu’à remplir des bas-fonds de bibliothèques. On rêve tristement à cette seconde scolastique, et l’on finit par découvrir que si elle s’est trouvée sans effet dans le royaume de la science, c’est qu’elle ne s’employait véritablement qu’à féconder le royaume de l’action.

Tous ces spéculatifs ne sont tels qu’en apparence. Ce sont des apologistes et non pas des chercheurs. Ils se préoccupent non de la vérité, mais de la morale. Ils s’alarmeraient de traiter Dieu comme une hypothèse et la Bible comme un document. Ils verraient une